Lancelot du Lac
de sa monture et dégaina son épée. Le combat reprit de plus belle. Chacun se rua sur l’autre, tranchant heaumes et hauberts de toutes leurs forces, duel sans merci, impitoyable, qui dura jusqu’au soir. Enfin, alors que le soleil disparaissait à l’horizon, Méléagant sentit faiblir ses forces sous les coups redoublés de Lancelot. Haletant, couvert de poussière et de sang, Méléagant s’effondra, et Lancelot s’abattit sur lui comme un oiseau sur sa proie. Ils se prirent à bras-le-corps, roulèrent sans lâcher prise plusieurs fois sur le sol. Lancelot enfin arracha le heaume de son ennemi et le jeta au loin. Il leva son épée pour lui trancher le cou, mais le roi cria pour l’en empêcher. Relevant la tête, Lancelot aperçut la reine qui, de son côté, lui faisait signe d’aller jusqu’au bout. Alors, Lancelot dit : « Roi, je consens seulement à ce qu’il se relève, mais ne m’en demande pas davantage. » Méléagant se releva en titubant et Lancelot le frappa, faisant voler sa tête sur l’herbe verte. Cela fait, il remit pensivement l’épée au fourreau et s’éloigna.
Kaï se précipita vers lui et lui enleva son bouclier : « Ah ! seigneur ! s’exclama-t-il, sois le bienvenu entre tous les chevaliers du monde, comme la fleur de la chevalerie sur terre ! Tu l’as bien prouvé, ici comme ailleurs ! » Après le sénéchal, ce fut au tour d’Arthur de lui donner l’accolade, et de lui ôter en personne son heaume qu’il remit à Yvain. Puis à nouveau il lui donna un baiser en disant : « Sois le bienvenu, ami très cher ! » Yvain ensuite l’attira dans ses bras, puis Bohort s’agenouilla devant lui. Lui prenant les mains, il lui dit : « Beau cousin, sois béni entre tous ceux de notre lignage comme le meilleur d’entre nous ! » Enfin, la reine s’approcha. Elle était descendue du donjon, et venait à lui dans la lande, ne pouvant contenir sa joie : « Lancelot, balbutia-t-elle, c’est toi qui m’as libérée de ce monstre ! Je vivais dans la terreur de devoir un jour repartir avec lui ! Sois béni pour ton action ! » Puis, l’ayant tendrement embrassé, elle chuchota à son oreille : « Plus que jamais corps et âme, je t’appartiens. »
Tout le monde rentra alors dans la forteresse au milieu d’une foule en liesse. Le roi commanda qu’on dressât les tables et, en attendant que le repas fût prêt, les chevaliers s’assirent dans la grande salle. Le roi fit alors une chose qui fut considérée comme un insigne honneur pour Lancelot, une chose qu’il n’avait jamais faite pour personne : il le fit asseoir au plus haut de sa table juste face à lui. Aucun chevalier n’avait encore eu cette faveur. Plein de confusion, il prit donc place à la prière instante du roi et sur ordre de la reine, obéissant malgré lui afin de respecter la volonté d’Arthur et de Guenièvre.
Alors qu’ils se restauraient, un chevalier fit irruption dans la salle, armé de pied en cap. Il était de haute taille, corpulent, et portait des armes vermeilles. Il s’approcha des tables, sans saluer personne. Puis, après avoir longtemps toisé les convives, il parla d’une voix assez forte pour être entendu de tous distinctement « Où est le déloyal, le traître, le plus honni des chevaliers, celui qui a tué Méléagant, le fils du roi Baudemagu ? tonna-t-il. Où est-il, ce Lancelot à qui nous avions rendu tous les honneurs au royaume de Gorre et qui vient de commettre l’innommable déloyauté de nous tuer le meilleur chevalier du monde ? »
Lancelot se leva et le dévisagea sans broncher. Le chevalier le reconnut et dit au roi : « Qu’est-ce donc, roi Arthur ? Qu’as-tu fait ? On te tient pour le plus sage homme du monde et tu as admis à ta table, à ta place d’honneur, le chevalier le plus déloyal qui vive ! C’est une chose inconcevable ! » Furieux de l’injure qui venait d’être faite au roi, Lancelot se dressa brutalement. « Seigneur chevalier, commença-t-il, cet affront est injustifié ! » Mais l’autre répliqua avec encore plus de violence : « Ce n’est pas en paroles qu’on devrait t’infliger cet affront, mais par des actes, et cela parce que tu as tué mon cousin Méléagant ! – Certes, je l’ai tué, s’efforça de poursuivre calmement Lancelot, mais cela n’a pas été sans témoins. Il y en a eu plus de deux cents pour assister à la bataille. – Certes, mais dès l’instant où il a
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