Lancelot du Lac
fait. Prenant congé de l’assemblée, elle remonta sans plus attendre sur son cheval et se mit au galop, se dirigeant tout droit vers la forêt dans l’ombre de laquelle elle s’engouffra et disparut plus vite que le vent à travers les feuilles.
Devant la forteresse, les chevaliers en étaient restés cois. Ils s’aperçurent alors que personne n’avait eu l’idée de demander à la jeune fille son nom et celui de son royaume. C’est pourquoi Dodinel le Sauvage, qui était de la Table Ronde, s’écria qu’il se faisait fort de la rattraper. En toute diligence, on lui apporta ses armes et il sauta sur son cheval, aussitôt suivi par Sagremor, un autre compagnon de la Table Ronde, tenté lui aussi par l’aventure.
Le soir tombait quand on les vit revenir harassés, l’air piteux et les hauberts froissés. Ils expliquèrent qu’ils avaient effectivement rejoint la jeune fille, mais que son compagnon, un chevalier armé, n’avait pas voulu qu’elle répondît. L’un et l’autre s’étaient alors battus avec lui, mais ils avaient subi de tels assauts qu’ils avaient dû tous les deux abandonner la partie. Lancelot, les ayant écoutés, déclara devant tout le monde qu’il partirait à son tour, si le roi et la reine lui accordaient congé. Et il ajouta : « Je ne sais si je la rattraperai, mais si je ne peux la ramener avec son ami, je ne reviendrai ni d’aujourd’hui ni de demain. » À ces mots, la reine intervint : « Lancelot, le jour a déjà bien baissé, et la jeune fille doit être désormais très loin. Renonce à cette affaire, ou bien alors, pars avec toutes tes armes ! – Dame, répondit Lancelot, puisque tu m’y autorises, je m’en irai tel que tu me le recommandes ! »
Ainsi, une fois de plus, Lancelot du Lac, ayant pris congé du roi et de la reine et salué ses compagnons, s’éloigna à travers la campagne vers la forêt. Il poursuivit sa course toute la nuit, et, le lendemain, à la pointe du jour, se retrouva au fond d’une vallée riante où il se reposa. Puis il se remit en selle, n’ayant trouvé aucune nourriture, parcourant bois et landes, jusqu’à midi, où il rencontra, sur une terre essartée, un homme qui venait de quitter une petite cabane. L’ayant questionné pour savoir s’il n’avait pas aperçu ce jour-là ou la veille une jeune fille accompagnée d’un homme en armes, l’homme lui apprit qu’il avait en effet vu passer l’un et l’autre. « Je ne sais si l’homme dont tu parles était chevalier, mais son cheval était fort beau. – Crois-tu qu’ils soient loin ? – Seigneur, ils allaient très vite et ils ont sûrement maintenant fait beaucoup de chemin. Ils avaient l’air pressé et leurs chevaux étaient couverts d’écume. – Et toi, qui es-tu ? – Je suis un ermite. – Alors, peux-tu m’indiquer où je pourrais loger ce soir ? » L’ermite sourit. « Seigneur, répondit-il, c’est tout vu. À trois lieues à la ronde, il n’y a ni bourg, ni village, ni forteresse, ni manoir, ni cité. Si tu veux t’arrêter chez moi, je donnerai à ton cheval de l’herbe fraîche et de l’avoine, et pour toi-même du pain et des raves. »
Lancelot accepta l’invitation, car il était fatigué, la faim le tenaillant durement. Mais, le lendemain, dès que le soleil fut levé, il repartit sans s’attarder davantage, et sa chevauchée dura bien jusqu’à midi. Il aperçut alors un manoir en face de lui. C’était la demeure d’un homme distingué, sans grande richesse, mais qui avait donné tous ses soins à son bâtiment. Quand Lancelot entra dans la cour, un jeune homme se précipita pour tenir son cheval. Le seigneur vint lui-même à sa rencontre et le salua courtoisement : « Sois le bienvenu, cher seigneur ! »
L’hôte lui fit les honneurs de sa demeure, lui offrit nourriture et breuvages en abondance et lui demanda la raison de son voyage. Lancelot lui apprit l’aventure de la jeune fille et de l’homme en armes. « Seigneur, lui dit l’hôte, ils ont passé ici la nuit dernière, mais ils n’ont pas voulu s’attarder, et ils sont repartis bien avant le jour. Tu ne pourras pas les rejoindre à moins d’y laisser ton cheval. Abandonne ta poursuite, tu n’y gagneras rien, sinon de passer pour un fou ! Retourne à la cour du roi Arthur ! » Mais Lancelot se montra inébranlable : il continuerait l’aventure qu’il avait entreprise.
Dès l’aube, donc, il reprit sa poursuite, mais sans plus de
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