Lancelot du Lac
imploré ta grâce et que tu l’as mis à mort, tu es devenu déloyal et lâche. Je suis donc prêt moi-même à te convaincre de déloyauté et de traîtrise dans une autre cour que celle-ci, si tu as le courage de te défendre. – Il n’y a cour au monde, répondit froidement Lancelot, où je ne puisse me disculper d’une telle accusation. Je serai à ta disposition où tu voudras, quand tu voudras. – Dans six mois, à la cour du roi Baudemagu. – J’y serai, lança Lancelot, si la mort ou la prison ne m’en empêchent. »
Le chevalier sortit de la salle, aussi orgueilleusement qu’il y était entré, et les conversations reprirent dans le palais sur le chevalier vermeil, son comportement si peu courtois, ses folles paroles à l’encontre de Lancelot et d’Arthur. Un écuyer vint alors annoncer que le chevalier vermeil avait fait emporter le corps de Méléagant sur le plus riche brancard qu’on eût jamais vu, au milieu d’une escorte de vingt chevaliers en armes poussant de grandes lamentations. Le roi soupira et dit : « J’aurais mieux aimé, il est vrai, qu’il en fût autrement, que Méléagant ne fût pas tué en ma cour, par affection pour le roi Baudemagu. Mais puisqu’il en est ainsi, il faut s’y résigner. »
Le festin terminé, on enleva les tables et chacun s’en retourna chez lui. Cependant, le roi retint Lancelot et le mena aux fenêtres du palais. Avec eux étaient restés la reine ainsi que Gauvain et Bohort, tout heureux de l’avoir retrouvé. Ils s’assirent sur une grande banquette et se mirent à parler. Arthur invita Lancelot à raconter dans le détail, devant ses compagnons, les aventures qui lui étaient arrivées depuis son départ de la cour. Il en narra de nombreuses, mais il en cacha d’autres. Le roi et la reine les écoutèrent avec plaisir et intérêt, et Arthur les fit tout de suite consigner par écrit, afin que le souvenir s’en conservât après leur mort (49) .
10
Le Royaume sans Nom
Le lendemain du jour où Lancelot avait triomphé de Méléagant, le roi Arthur décida de quitter Camelot et de tenir sa cour à Kaerlion-sur-Wysg. Il s’y rendit donc en compagnie de la reine, de nombreux chevaliers et de Lancelot dont il ne voulait plus se séparer. D’ailleurs, Lancelot ne s’était pas fait prier longtemps pour accepter d’accompagner Arthur, car la reine lui avait fait comprendre qu’elle désirait ardemment sa présence auprès d’elle, après les dures épreuves que l’un et l’autre avaient vécues.
Cinq jours avaient passé. Le roi était à Kaerlion. Avant de se mettre à table, comme à l’accoutumée, les chevaliers s’étaient mis aux fenêtres, autant pour se distraire que pour guetter une nouvelle aventure. Au loin, dans la plaine, une jeune fille, sans autre escorte qu’un homme en armes, chevauchait un riche et vigoureux palefroi. Comme il faisait chaud, elle portait une cape et une tunique tout en soie sur une chemise de coton blanche comme neige. « Cette jeune fille apporte quelque nouvelle ! » s’exclamèrent certains. Mais déjà elle arrivait à la porte de la forteresse et ils descendirent tous à sa rencontre. Elle mit pied à terre et Gauvain lui prit la main pour la mener à la grande salle. Elle s’avança avec l’assurance d’une jeune fille de haut rang, puis salua solennellement le roi et la reine et l’ensemble des chevaliers. « Sois la bienvenue, jeune fille, l’encouragea le roi devant l’assistance silencieuse.
— Noble roi, commença la jeune fille d’une voix claire, je te le déclare, ainsi qu’à tous ceux présents ici, qu’on ne doit pas davantage faire cas de vous-même que d’une fleur de cerisier ! Vous voici tous livrés à la paresse sans avoir en tête d’autre exploit que celui de vous engraisser ! Peut-on trouver ici quelque aventure ? Pourtant, dans mon pays, bien loin d’ici, vous pourriez conquérir valeur et honneur. Aussi, j’invite à s’y rendre, selon la mission que ma Dame m’a confiée, ceux d’entre vous qui se sentent pleins d’entrain et de bravoure. Là, un grand bonheur peut vous advenir, car ma Dame a mis en jeu son fief entier et son royaume. Elle souhaite dépenser dans la joie tous les revenus de sa terre, et celui qui voudra l’avoir pour amie, l’obtiendra à coup sûr. Là-bas, dans mon royaume, grande peut être la conquête. Maintenant, il me faut m’en aller car je n’ai plus de raison de rester ici. » Aussitôt dit, aussitôt
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