Lancelot du Lac
je l’en crois, bien pire aventure. » Aussi, la jeune fille lui tendant l’anneau avec insistance, Lancelot, se rendant compte que toute révolte ne servait à rien, se résigna à tenter l’expérience. Il tendit la main et la jeune fille glissa l’anneau à son petit doigt.
Aussitôt Lancelot se trouva si envoûté qu’il perdit toute conscience de ce qu’il était. Il oublia même son nom, oublia qu’il était chevalier. Et quand la jeune fille le prit par le bras et l’entraîna dans un couloir, il la suivit docilement, sans la moindre résistance. Elle le mena dans les cuisines, lui fit couper des bûches pour alimenter le feu qui brûlait dans la cheminée, lui fit préparer les aliments, lui enjoignit d’exécuter tous les ordres qu’on lui donnerait. Lancelot, comme une bête, se mit au travail, sans rechigner, ne ménageant aucun effort, désireux de ne pas mécontenter la jeune fille à la baguette.
Lancelot était donc assigné à demeure, parfaitement docile et ne sachant même plus où il se trouvait. Par égard pour l’exploit qu’il avait accompli, on l’avait cependant dispensé des basses besognes. Car il n’était pas seul dans la grotte : il y avait là de nombreux prisonniers affectés à des travaux divers. Les chevaliers les plus vaillants tissaient des étoffes de soie et de brocart, des tentures impériales, des draps et des étoffes précieuses. D’autres vaquaient à différentes tâches : les uns faisaient de l’orfèvrerie ou de la sellerie. D’autres maçonnaient ou charpentaient, au gré de ceux qui les commandaient. Quant à ceux qui étaient les plus sots, on les envoyait travailler dans les champs, les vignes et les enclos, sur une terre où les récoltes étaient toujours mûres. Mais tous portaient au doigt un anneau semblable à celui de Lancelot.
Pendant ce temps, à la cour du roi Arthur, les jours passaient, et on s’inquiétait de plus en plus de l’absence prolongée de Lancelot. La reine Guenièvre passait ses journées à la fenêtre de la grande tour de Kaerlion pour guetter le retour espéré de celui en qui elle avait mis tout son amour. Mais Lancelot ne revenait pas et personne n’était capable de dire où il se trouvait. À la fin, n’y tenant plus, Gauvain s’en alla trouver le roi et lui dit : « Mon oncle, donne-moi la permission de partir à la recherche de Lancelot. J’irai dans la direction qu’il a prise et je m’informerai sur le Royaume sans Nom. Je ne peux plus attendre davantage. » Le roi donna son accord et Gauvain fit ses préparatifs. Ayant pris congé d’Arthur et de Guenièvre, il se lança hardiment sur les chemins, interrogeant les uns et les autres, s’arrêtant dans les manoirs où l’on avait hébergé Lancelot et recueillant chaque fois des détails qui le mirent bientôt sur la bonne voie. C’est ainsi qu’il arriva un jour sur la grande lande face à Rigomer.
Sur la lande, se trouvaient de nombreuses tentes ainsi qu’une foule de gens jouant aux échecs et au trictrac, se prélassant au soleil ou conversant entre eux. Le voyant arriver, tous le regardèrent et se levèrent. Gauvain leur demanda s’ils avaient vu Lancelot du Lac, le fils du roi Ban de Bénoïc. Il lui fut répondu que Lancelot était bien venu là, qu’il avait vaincu deux redoutables chevaliers et qu’il avait passé le pont vers la cité de Rigomer malgré le terrible dragon qui en interdisait le passage. Alors Gauvain n’hésita plus : il devait lui aussi franchir le pont et savoir ce qu’il était advenu de Lancelot. Quand il en manifesta le désir, on lui dit qu’il courait un grand danger et que le dragon ne le laisserait certainement pas arriver sur l’autre rive. Mais Gauvain leur répondit qu’il n’avait peur de rien et qu’il était bien décidé à aller jusqu’au bout.
Sans plus tarder, il se présenta donc à l’entrée du pont, vit le monstre au milieu, qui semblait dormir. Il sortit son épée du fourreau et s’avança prudemment, prêt à lutter dès que nécessaire. Mais plus il avançait, plus le dragon devenait flou, tant et si bien que parvenu au milieu du pont, Gauvain s’aperçut qu’il n’y avait plus de monstre barrant le passage : c’était une illusion, et elle venait de se dissiper. Il arriva ainsi sans encombre sur l’autre rive, vit la tente et l’entrée de la grotte, se demandant où il devait aller. Il aperçut alors la jeune fille qui jouait avec la pomme d’or et lui dit :
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