Lancelot du Lac
courage pour qu’elle puisse sauvegarder cet enfant qui descend du haut lignage que tu as établi au Royaume Aventureux, puisqu’il est dit dans les prophéties que c’est de ce lignage que sortira le lion vainqueur des Ténèbres, qui sera admis aux grands mystères du Graal. » Il battit sa coulpe et pleura sur ses fautes. Puis, dans un grand effort, il se redressa, s’agrippa aux sangles du cheval et réussit à remonter en selle. Il eut à peine la force de diriger sa monture, la faisant redescendre de la colline, et il arrivait juste près du lac de Diane, quand une nouvelle faiblesse le fit tomber à terre. Cette fois, le roi Ban de Bénoïc venait de mourir.
Pendant ce temps, la reine qui attendait le retour de son mari, s’était assise au pied d’un arbre. Elle avait pris son enfant dans ses bras, le serrant contre elle avec beaucoup de tendresse, et disant en le baisant plus de cent fois : « Beau doux fils tant aimé, si tu peux vivre assez pour atteindre l’âge de vingt ans, tu seras le nonpareil, le plus beau de tous les jeunes gens de ce monde. Que Dieu soit béni de m’avoir permis de donner le jour à une aussi belle créature ! »
À ce moment, elle entendit le bruit du cheval qui descendait de la colline, mais elle ne le voyait pas, car il se trouvait derrière un écran d’arbres. Puis il y eut un choc, et le cheval apparut à ses yeux, mais sans cavalier. Inquiète, la reine demanda à l’écuyer d’aller voir ce qui se passait. Le valet se hâta, et bientôt la reine entendit le grand cri qu’il poussa lorsqu’il trouva le roi gisant sur le sol. Effrayée, elle déposa son fils dans l’herbe, sous l’arbre, et se mit à courir vers l’endroit d’où venait le cri.
Elle aperçut tout de suite le valet à genoux, penché sur le corps inanimé du roi Ban. Elle sentit ses forces l’abandonner, ses genoux fléchirent et elle tomba elle-même à côté du corps de son époux. Puis elle se mit à gémir, regrettant les grandes prouesses et la loyauté de celui dont elle avait partagé la vie, appelant pour elle la mort, trop tardive à son gré. Elle se mit à tirer ses beaux et blonds cheveux, à tordre ses bras, à égratigner son tendre visage si cruellement que le sang vermeil lui coulait sur les joues, et elle poussa de tels cris que la colline et le val, tout alentour, en retentirent tant qu’à la fin la voix lui manqua. Mais comme elle se lamentait ainsi, elle se souvint tout à coup qu’elle avait imprudemment laissé son fils tout seul sous un arbre, près du lac. Mue par une soudaine énergie, elle se leva et se mit à courir, dans le plus grand affolement, vers le lieu où se trouvait l’enfant. L’angoisse l’étreignait si violemment que le pied lui manqua et qu’elle tomba rudement plus d’une fois, au point d’en rester étourdie. Et lorsqu’elle arriva près de l’arbre, elle poussa un cri terrible.
L’enfant n’y était plus. Elle vit alors, non loin de là près du rivage, une jeune femme toute de blanc vêtue, au visage grave mais avenant, aux cheveux très blonds, qui serrait l’enfant contre sa poitrine et qui marchait vers le lac. « Mon fils ! s’écria la reine, pourquoi emportes-tu mon fils ? » La femme en blanc ne répondit rien. Elle s’arrêta un instant, se retourna et regarda la reine Hélène avec un sourire énigmatique. « Rends-moi mon enfant ! » cria encore la reine. Alors la jeune femme en blanc se détourna et se remit en marche. Ses pieds ne semblaient même pas frôler le sol tant elle paraissait légère et irréelle. Parvenue sur la berge descendant vers les eaux tranquilles du lac, elle continua d’avancer : les eaux semblèrent s’écarter pour la laisser passer et se refermèrent ensuite derrière elle. La reine se mit à courir sur le rivage. « Mon enfant ! rends-moi mon enfant ! » hurla-t-elle. Mais la jeune femme en blanc ne parut pas l’entendre et s’enfonça lentement dans le lac. Elle eut bientôt de l’eau jusqu’aux genoux, mais cette eau ne paraissait même pas la mouiller. Puis, elle en eut jusqu’aux hanches et se retourna une nouvelle fois, regardant la reine avec ce même mystérieux sourire qui l’avait fait tant souffrir, comme si rien ne pouvait fléchir sa volonté d’emporter l’enfant avec elle. Mieux, elle le serra encore plus étroitement contre sa poitrine et le couvrit de baisers. La reine Hélène fit une dernière tentative :
« Pour l’amour du ciel, rends-moi
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