Lancelot du Lac
détenait le moyen de prendre la forteresse avec un minimum de risques. Mais le sénéchal ne voulut s’engager à servir Claudas que lorsque celui-ci lui eut juré sur les saintes reliques qu’il serait roi de Bénoïc. Alors, le sénéchal avoua à Claudas le départ du roi Ban, de son épouse et de son fils. « Seigneur roi, ajouta-t-il, lorsque je rentrerai dans la forteresse, je m’arrangerai pour en laisser les portes ouvertes, et je dirai à tous que nous avons conclu ensemble une trêve de trois jours et de trois nuits. Nos gens en seront fort satisfaits, et ils iront se dévêtir et se reposer, car ils ont supporté assez de peines et de fatigues ces derniers temps. »
Le sénéchal regagna alors Trèbe et laissa les portes ouvertes derrière lui. Mais un guerrier qui avait nom Banin, et qui était filleul du roi Ban, avait aperçu la manœuvre du sénéchal alors qu’il était, comme toutes les nuits, en train de faire le guet sur les remparts. Il demanda au sénéchal d’où il venait et dans quel but il était sorti de la forteresse à une heure si matinale. « Je viens, répondit l’autre, de négocier avec Claudas la trêve qu’il octroie au roi, mon seigneur et le tien. » Quand il entendit ces paroles, Banin ne put s’empêcher de frémir de tout son corps. « Sénéchal, dit-il simplement, qui veut loyalement agir ne va pas à pareille heure demander une trêve à l’ennemi mortel de son seigneur ! »
Le sénéchal mit la main à son épée. « Me tiendrais-tu pour déloyal ? » s’écria-t-il avec colère. Banin n’osa rien répliquer. Le sénéchal était le plus fort et pouvait facilement le faire tuer. Il s’éloigna, mais se hâta de monter dans une tourelle pour guetter : il ne tarda pas à voir une vingtaine d’hommes, bientôt suivis par une troupe plus importante, en train de gravir le plus silencieusement possible la butte sur laquelle était bâtie la forteresse. Aussitôt, il descendit de sa tourelle en criant : « Trahison ! Les portes sont ouvertes et les ennemis arrivent ! » À ces cris, les gens de la garnison sortirent de leurs logis et coururent en toute hâte vers leurs armes. Mais avant qu’ils eussent pu faire quelque chose, les hommes de Claudas avaient déjà passé la première porte. Le sénéchal sortit à son tour, faisant semblant d’être tout surpris de l’aventure et regrettant à haute voix l’absence de son seigneur.
Mais il n’eut guère le temps de continuer ses lamentations hypocrites, car Banin, qui se trouvait alors à côté de lui, le poursuivit en criant : « Traître ! félon maudit ! Tu as trahi ton seigneur et maître qui, de rien que tu étais, t’a élevé au rang de sénéchal ! Tu lui as ôté tout espoir de recouvrer sa terre ! Mais cela ne se passera pas ainsi et tu iras où se trouve Judas qui vendit pour trente deniers celui qui était venu en ce monde pour le sauver ! » Et, sans plus attendre, Banin leva son épée sur le traître et, d’un seul coup, lui trancha la tête. Puis, voyant que les gens de Claudas devenaient de plus en plus nombreux, il courut au donjon dont il leva le pont en grande hâte. Là, en compagnie des trois sergents qui gardaient la tour, et dont l’un lui avait ouvert la porte, il se prépara à résister par tous les moyens dont il disposait.
En dehors de la tour, toute la forteresse était à présent aux mains des ennemis, et les bâtiments commençaient à flamber, au grand courroux de Claudas qui ne savait lequel de ses hommes y avait mis le feu : il aurait en effet voulu garder tout intact, comme preuve de sa victoire, mais comme il avait envoyé une troupe à la poursuite du roi Ban, il espérait bien se venger sur la personne de celui-ci, démontrant ainsi sa puissance et son triomphe. Il ne restait plus maintenant qu’à venir à bout de la résistance désespérée de Banin et de ses trois compagnons. Mais, pendant trois jours, les défenseurs de la tour repoussèrent tous les assauts. Claudas finissait par se lasser, et il ne pouvait s’empêcher d’admirer le courage de Banin. C’est pourquoi il lui cria : « Banin ! rends-toi ! Tu ne peux plus tenir bien longtemps ! Si tu persistes, tu seras tué ainsi que tes hommes. Je te fais une proposition : rends-toi et, en reconnaissance de ta valeur, je te donnerai des armes et de bons chevaux pour que tu puisses aller où tu voudras, à moins que tu ne choisisses de rester avec moi. Je rends hommage à ta
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