Lancelot du Lac
Bohort, vint lui offrir de garder ses enfants et de les élever secrètement afin que Claudas ne pût rien entreprendre contre eux. Elle comprit que c’était sans doute le seul moyen de les sauver, mais le fait de se séparer d’eux lui déchirait le cœur. Elle se résigna cependant et accepta l’offre de Pharien, puis s’en alla se réfugier dans le monastère où se trouvait déjà la reine Hélène, sa sœur. Ainsi, toutes deux eurent leur peine un peu allégée de se trouver ensemble à plaindre leurs grandes douleurs et à prier Dieu pour la sauvegarde de leurs enfants bien-aimés. Quant à Claudas de la Terre Déserte, il s’empara sans vergogne du royaume de Gaunes comme il l’avait fait du royaume de Bénoïc, et se retrouva à la tête de vastes territoires, n’ayant nulle intention de les partager avec quiconque.
Cependant, Pharien emmena les enfants dans son propre manoir et les y éleva le plus discrètement du monde, avec beaucoup de soins et d’attentions, sans jamais dire à personne qui ils étaient. Seule, son épouse, qui était une femme très belle et de grande noblesse, partageait son secret. Mais il arriva que Claudas tomba amoureux d’elle et lui fit une cour pressante. Pour qu’elle fût souvent présente à la cour, Claudas fit de Pharien son sénéchal pour le royaume de Gaunes et lui octroya un grand nombre de terres et de rentes. Finalement, la femme de Pharien, ne put résister à l’amour dévorant de Claudas, et les deux amants se rencontrèrent chaque fois que Pharien s’absentait pour s’occuper des affaires du royaume.
Un jour, cependant, Pharien les surprit ensemble. Mais il se garda bien de dire quoi que ce fût, sachant qu’il serait néfaste pour lui de dévoiler publiquement son malheur. Cela ne l’empêcha pas d’en éprouver un grand chagrin, car il aimait sa femme tendrement et supportait très mal cette trahison. Pourtant, un matin, n’y tenant plus, il fit semblant de s’éloigner pour quelque affaire, puis revint au milieu de la nuit, secrètement et sans bruit, bien décidé à tuer celui qui partageait le lit de sa femme. Les ayant trouvés effectivement couchés ensemble, il leva son épée, mais Claudas, réveillé en sursaut, se glissa agilement hors du lit et, profitant de l’obscurité, sauta par la fenêtre qui était restée ouverte.
Frustré de sa vengeance, Pharien craignait également que le roi ne se débarrassât de lui. Il décida alors d’user de ruse. Il s’en alla trouver Claudas et lui dit : « Seigneur, je suis ton homme lige et tu me dois justice. J’ai la preuve que ma femme me trahit avec l’un de tes chevaliers. Je viens de les surprendre. – Qui est donc ce chevalier ? demanda innocemment Claudas. – Seigneur, je ne le sais pas, car ma femme se refuse à le nommer. Elle a seulement avoué qu’il est un de tes hommes. Je t’en prie, puisque tu es mon seigneur, donne-moi conseil à ce sujet. » Claudas se mit à réfléchir, et pour mieux éprouver Pharien, il lui dit : « À ta place, je tuerais ce traître. Tu en as le droit puisqu’il te prend ta femme. »
Pharien ne dit mot, et le roi crut qu’il ne savait rien, ce dont il fut pleinement rassuré. Mais le sénéchal revint à son manoir, et là, sans plus d’explications, il enferma sa femme dans une tour, sans autre compagnie qu’une vieille servante qui lui apportait à boire et à manger. La dame supporta mal cet emprisonnement, d’autant plus qu’elle s’était prise de passion pour le roi. Un soir, en se penchant par la fenêtre, elle trouva moyen de s’entretenir avec un valet qui avait été autrefois au service de sa famille et le chargea d’aller avertir le roi de son infortune. Dès qu’il fut au courant, Claudas envoya un écuyer dire à Pharien qu’il viendrait dîner chez lui. Pharien, ne pouvant refuser de recevoir son seigneur avec tous les honneurs qui lui étaient dus, fut bien obligé de sortir sa femme de la tour pour qu’elle pût assister au repas. Il lui commanda donc de s’habiller richement, puis il alla au-devant du roi et lui fit fête.
Mais, comme le dîner touchait à sa fin, la dame, qui brûlait de se venger de son mari, révéla au roi que Pharien élevait secrètement chez lui, depuis plus de trois ans, les deux fils du roi Bohort de Gaunes. Pharien se vit perdu, mais, à sa grande surprise, Claudas ne parut nullement irrité. « Livre-moi les enfants, dit-il seulement au sénéchal. Je suis prêt à te jurer
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