Lancelot du Lac
demeurèrent blonds et luisants tant qu’il fut enfant. Plus tard, ils foncèrent et devinrent cendrés, mais restèrent toujours ondulés et lustrés. Son cou, ni trop grêle, ni trop long, ni trop court, pouvait rendre jalouses les plus belles femmes du siècle. Ses épaules étaient larges et hautes comme il convient, ses bras longs, droits, bien fournis en os, en nerfs et en muscles. Si ses doigts avaient été un peu plus menus, ses mains auraient parfaitement convenu à une demoiselle. Quant aux reins et aux hanches, aucun chevalier ne les aurait eus mieux faits. Ses cuisses et ses jambes étaient droites, et ses pieds cambrés, de sorte que personne n’eut jamais de meilleure assise. Seule, sa poitrine était peut-être un peu trop profonde et ample, et beaucoup de gens pensaient que si elle l’avait été moins, on aurait pris encore plus de plaisir à le regarder. Plus tard, la reine Guenièvre dirait que Notre-Seigneur la lui avait faite telle pour qu’elle fût à la mesure de son cœur, car il eût étouffé en toute autre, et qu’au reste, si elle-même avait été Dieu, elle n’aurait mis dans l’homme qu’elle aimait rien de plus, rien de moins.
Lorsqu’il le voulait, au moment des jeux et des divertissements, il chantait à merveille, mais ce n’était pas trop souvent, car nul ne montra jamais moins que lui de joie sans cause. Mais s’il jugeait qu’il y avait une raison valable de se réjouir, nul ne s’y appliquait mieux que lui. Il disait parfois que, lorsqu’il se trouvait en grande gaieté, il n’était rien de ce que son esprit pouvait rêver que son corps ne pouvait mener à bien, tant il se fiait en la joie pour le faire triompher des pires épreuves. En l’entendant parler si fièrement, on aurait pu sans doute l’accuser d’outrecuidance et de vantardise, mais ce qu’il disait, il le faisait toujours, car sa volonté était inébranlable.
Tel était « Beau Trouvé », et si son corps était bien fait, son cœur ne l’était pas moins. C’était le plus doux et le plus débonnaire de tous les enfants, mais il ne supportait ni le mensonge ni la félonie. Sa largesse était sans commune mesure : il donnait aussi volontiers qu’il acceptait ce qu’on lui proposait. Il honorait les gentilshommes et ne faisait jamais mauvais visage, sauf s’il pensait avoir quelque bonne raison de se montrer désagréable. D’ailleurs, lorsqu’il se mettait subitement en colère, il était facile de le calmer. Et il était de sens si clair et si droit qu’à partir de l’âge de dix ans, son maître même n’aurait pu le détourner d’accomplir un acte qu’il jugeait bon et raisonnable.
Un jour, « Beau Trouvé » était parti à la chasse en compagnie de son maître. Ils eurent tôt fait de distancer les jeunes filles qui avaient voulu venir avec eux, mais qui étaient moins bien montées. Soudain, le cheval du maître broncha et tomba avec son cavalier sans que l’enfant, trop occupé à poursuivre la proie qu’il convoitait, s’en aperçût. Enfin, il tua la bête d’une seule flèche, mit pied à terre et attacha le chevreuil en trousse, prenant son chien au travers de la selle. Or, comme il rebroussait chemin afin de rejoindre son maître, il rencontra un homme à pied, de fort belle allure, qui menait à la main son cheval las. Il était vêtu d’une modeste cotte, ses éperons tout rougis du sang de sa monture épuisée. En voyant l’enfant, l’homme baissa la tête, comme s’il était honteux. « Beau Trouvé » lui demanda qui il était et où il allait. « Bel enfant, dit l’homme, que Dieu te donne joie et prospérité ! Je suis assez pauvre et je le serai encore plus si Notre-Seigneur ne me protège autrement qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. Je suis gentilhomme de père et de mère, et je n’en souffre que davantage, car si je n’étais qu’un paysan, je serais habitué aux tourments et j’endurerais plus facilement mes ennuis.
— Comment ? s’écria l’enfant. Tu es gentilhomme de père et de mère et tu pleures à cause d’une mauvaise fortune ! Sauf s’il vient de perdre un ami ou sa terre, nul cœur bien né ne doit s’émouvoir, car toute chose est réparable. » L’homme fut bien étonné d’entendre ces nobles paroles de la bouche d’un enfant. Il dit : « Je ne pleure pas à cause de la perte d’un ami ou d’une terre. Mais je dois me rendre à la cour du roi Claudas pour obtenir justice d’un traître qui a
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