Lancelot du Lac
chaleureusement le vavasseur.
Il ne fut pas long à retrouver son maître et les trois jeunes filles qui avaient tenu à les accompagner. Ceux-ci le cherchaient et commençaient à s’inquiéter de son absence. Ils s’étonnèrent grandement de le voir revenir à pied, chassant devant lui un cheval maigre et blessé, tenant deux chiens en laisse, son arc au cou, son carquois à la ceinture. « Qu’as-tu fait de ton cheval ? demanda le maître d’une voix sévère. – Je l’ai perdu, répondit simplement l’enfant. – Et celui-ci, demanda le maître, où l’as-tu pris ? – On me l’a donné. – Par la foi que tu dois à ma dame, dis-moi la vérité ! » L’enfant, qui en aucun cas n’aurait voulu mentir, lui raconta très exactement ce qui s’était passé. Mais le maître laissa libre cours à sa colère « Comment ? dit-il, tu as donné ton cheval sans ma permission, et aussi la venaison qui revenait à ma dame ? – Ne te fâche pas, dit l’enfant. Ce lévrier vaut bien deux roussins comme celui que j’avais. – Par la Sainte Croix, il t’en souviendra ! » s’écria le maître. Et, disant ces mots, il frappa l’enfant d’un tel soufflet qu’il le jeta par terre. « Beau Trouvé » ne cria pas, ne pleura pas, mais il répéta qu’il aimait mieux le lévrier que deux roussins. Le maître, qui paraissait hors de lui, frappa rudement le chien de sa verge, et l’animal, qui était jeune, se mit aussitôt à hurler. « Beau Trouvé » lâcha les deux laisses. Son visage s’était soudain empourpré. Il arracha l’arc de son cou et courut sus à son maître. « Je n’admets pas qu’on batte mon chien ! » cria-t-il. Et, levant l’arc, il voulut en frapper le maître. Celui-ci tenta de saisir l’arc, mais l’enfant, vif et léger comme il était, sauta de côté et le frappa sur la tête si durement qu’il lui fendit la peau et l’abattit sur le sol où il demeura un instant tout étourdi. Puis, fou de colère à la vue de son arc qui s’était brisé, il se jeta sur son maître et se mit à le frapper de ses poings, répétant sans cesse qu’il ne tolérerait jamais qu’un chien innocent fût battu. Les jeunes filles essayèrent bien de le calmer, mais leurs paroles ne firent qu’exciter davantage sa colère. Il prit alors les flèches de son carquois et les en menaça d’un air si résolu qu’elles s’enfuirent toutes dans les bois.
Alors « Beau Trouvé » sauta sur l’un de leurs chevaux et, emmenant avec lui ses deux chiens, l’un par l’arçon, l’autre en croupe, il s’engagea sur un chemin qui traversait la forêt. Tout à coup, comme il passait dans une vallée, il aperçut une harde de biches. D’instinct, il chercha l’arc à son cou, et, se rappelant soudain comment il l’avait brisé et perdu, il se remit en colère : « Celui qui m’a empêché d’avoir une de ces biches me le paiera cher ! s’écria-t-il. Avec le meilleur lévrier et le meilleur limier qui soient, il m’était impossible de manquer mon coup ! » Il se calma cependant et revint au domaine du Lac, entra dans la cour et se rendit immédiatement chez la Dame afin de lui montrer son beau lévrier. Mais le maître, tout sanglant, le visage tuméfié, était déjà présent et avait fait sa plainte.
« Comment ? dit la Dame du Lac en faisant semblant d’être très irritée. Tu as osé frapper et blesser celui auquel je t’ai confié pour qu’il t’instruise ! C’est un outrage pour moi comme pour lui, sache-le bien ! – Dame, répondit l’enfant d’une voix calme, ce n’est pas un bon maître, puisque lui-même m’a frappé alors que j’avais bien agi. Peu m’importent ses coups d’ailleurs, mais il a frappé mon lévrier qui ne lui avait rien fait et qui est l’un des plus beaux du monde. Il l’a frappé si durement qu’il a failli le tuer sous mes yeux, et cela parce qu’il savait que j’y étais très attaché. Encore m’a-t-il causé un autre ennui, car, en m’obligeant à casser mon arc, il m’a privé d’une belle biche que j’aurais très bien pu te rapporter. Sache bien que partout où je le rencontrerai, sauf ici où il est sous ta protection, je m’efforcerai de le tuer afin de laver l’affront qu’il m’a fait, ainsi qu’à mon lévrier ! »
La Dame du Lac fut fort heureuse de l’entendre parler si fièrement. Mais elle n’en laissa rien paraître et continua à feindre d’être courroucée. « Comment as-tu osé
Weitere Kostenlose Bücher