Lancelot du Lac
tué un de mes parents dans son lit dans l’intention de lui ravir sa femme. Comme le traître craint de combattre loyalement contre moi, il m’a fait assaillir, hier soir, dans la forêt. Mon cheval a été blessé sous moi. Il m’a toutefois permis de m’échapper. Mais comment ne serais-je pas affligé, puisqu’il m’est impossible de me présenter au jour fixé à la cour du roi Claudas pour soutenir mon droit ? Il faudra donc que je m’en revienne sans avoir obtenu réparation, et surtout déshonoré pour avoir fait défaut. – Dis-moi : si tu avais un bon cheval, arriverais-tu encore à temps ? – Oui, bel enfant, très bien, et même si je devais encore faire une partie du chemin à pied. – Par le Dieu qui nous fit naître, dit « Beau Trouvé », je jure que tu ne perdras pas ton honneur à cause d’un cheval tant que j’en posséderai un, ni toi ni aucun autre gentilhomme qui serait dans l’embarras ! » Cela dit, « Beau Trouvé » descendit de sa monture et en tendit la bride à l’homme. Puis il mit son chien en laisse et, plaçant sa venaison sur le cheval blessé, il partit en le chassant devant lui.
Il ne s’était guère éloigné qu’il croisa un vavasseur monté sur un palefroi, une verge à la main, qui tenait en laisse un braque et deux lévriers. L’homme était d’un certain âge, aussi l’enfant le salua-t-il avec courtoisie. « Dieu te donne joie ! répondit le vavasseur. D’où es-tu, mon enfant ? – Seigneur, de l’autre pays. – Qui que tu sois, tu es beau et bien savant, me semble-t-il. Et d’où viens-tu ? – Seigneur, je reviens de la chasse, et comme tu le vois, j’ai tué un chevreuil. Mais si tu daignes prendre une part de ma venaison, je sais qu’elle sera bien employée. » Le vavasseur descendit de sa monture. « Je te remercie vivement, dit-il, et je ne refuse pas, car tu as fait cette offre de bon cœur et il se trouve qu’aujourd’hui j’ai grand besoin de gibier. Je viens de marier ma fille et j’étais allé chasser pour avoir de quoi réjouir ceux qui sont venus aux noces. Mais je n’ai pas eu de chance. » Le vavasseur examina le chevreuil et demanda alors quelle partie il pouvait prendre. « Seigneur, dit l’enfant, es-tu chevalier ? – Certes, répondit l’autre. – Alors, prends-le tout entier. Ma venaison ne saurait mieux être employée qu’aux noces de la fille d’un chevalier ! » Le vavasseur troussa le chevreuil en croupe et invita l’enfant à venir souper chez lui. Mais « Beau Trouvé » répondit que ses compagnons n’étaient pas loin et qu’il devait aller les rejoindre. Le vavasseur le quitta après l’avoir recommandé à Dieu.
Mais, tout en s’éloignant, le vavasseur ne pouvait s’empêcher de se demander quel était ce bel enfant dont la ressemblance avec le roi Ban de Bénoïc l’avait tant frappé dès qu’il l’avait vu. N’y tenant plus, et voulant en savoir davantage, il fit demi-tour et revint à grande allure. Il n’eut pas de peine à retrouver « Beau Trouvé » qui allait à pied. « Bel enfant, demanda le vavasseur, ne peux-tu me dire qui tu es ? – Je ne le sais pas moi-même. On m’appelle « Beau Trouvé », et pourtant ma mère est une noble dame. Pourquoi tiens-tu tant à savoir qui je suis ? – C’est que tu ressembles étrangement à celui qui a été mon seigneur, le meilleur que j’aie jamais connu. – Qui est donc ce seigneur à qui je ressemble ? demanda l’enfant. – Le roi Ban de Bénoïc. Tout ce pays était à lui et il en a été déshérité à tort par le roi Claudas de la Terre Déserte. Il est mort maintenant, et l’on ne sait pas ce qu’est devenu le fils unique qu’il aimait tant. Par Dieu, si c’est toi, dis-le-moi. Je jure que je te garderai et défendrai mieux que moi-même ! » L’enfant se mit à réfléchir : « Fils de roi, murmura-t-il, je ne pense pas l’être, et pourtant, c’est étrange : certaines personnes m’appellent ainsi. » Le vavasseur n’insista pas, mais il dit encore : « Bel enfant, qui que tu sois, tu sors assurément d’un noble lignage. Écoute, voici deux lévriers, parmi les meilleurs qui soient au monde. Prends-en un, et que Dieu te donne joie et bonheur ! » L’enfant fut ravi de cette offre. Il regarda attentivement les deux lévriers et les apprécia en connaisseur. Puis il en choisit un, et le tirant par la chaîne, il s’en alla de son côté après avoir remercié
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