Lancelot du Lac
courtois, ces enfants seraient ici auprès de toi, vêtus de riches vêtements comme il convient à des fils de roi. Tu en retirerais beaucoup d’honneur, car chacun dirait que tu es un bon prince qui traite les orphelins avec bonté et leur garde fidèlement leur terre ! – Par Dieu ! répondit Claudas, tu as raison, et je vais faire ce que tu demandes. »
Il donna alors l’ordre à son sénéchal d’aller chercher lui-même les enfants et leurs maîtres, et de mener avec lui, en grand apparat, un cortège de chevaliers, de sergents et d’écuyers afin de marquer dignement leur arrivée.
Le sénéchal se hâta d’accomplir sa mission. Il réunit ses gens et se présenta à la porte de la tour. On lui ouvrit et il monta jusqu’à la pièce où se trouvaient les enfants. S’agenouillant humblement devant Lionel, il dit son message, et le garçon feignit d’être tout joyeux. Puis, priant le sénéchal d’attendre un moment, il passa dans la chambre voisine où il commanda à un valet de lui apporter un grand couteau qu’on lui avait donné. Mais, au moment où il le cachait sous sa robe, Pharien entra pour voir ce qu’il faisait et le lui arracha des mains. Lionel ne se débattit pas, mais il dit fermement : « Puisqu’il en est ainsi, je ne mettrai pas les pieds dehors. Je vois bien que tu me détestes, puisque tu m’enlèves la seule chose qui puisse faire mon bonheur ! – Allons, mon enfant, dit Pharien, tout le monde s’apercevra que tu portes un couteau. Laisse-moi le prendre, car je le cacherai plus facilement que toi. – Alors, jure-moi que tu me le donneras à l’instant même où je te le demanderai ! – Seulement si tu me promets que tu ne feras rien qui me chagrine. – Je ne ferai nulle chose dont je puisse être blâmé, ni par toi ni par les autres. – Ce n’est pas ainsi que je l’entendais. » Lionel le regarda droit dans les yeux, puis il dit lentement : « Beau maître, garde donc le couteau pour toi : tu pourrais bien en avoir besoin pour toi-même. »
Lionel et Bohort montèrent sur de beaux palefrois, leurs maîtres en croupe, et le cortège se dirigea vers le palais, tandis que le menu peuple s’assemblait pour voir ce qui se passait. Reconnaissant les deux enfants, les bonnes gens en furent réconfortés, mais ils se mirent à prier Dieu pour qu’ils fussent protégés de tout péril, car ils n’avaient aucune confiance dans le roi Claudas et se demandaient bien pour quelle raison il avait fait sortir les enfants de leur prison. Parvenus au palais, Lionel et Bohort entrèrent dans la grande salle, la tête haute, le regard fier et assuré, la main dans la main, et se dirigèrent vers le roi Claudas.
Celui-ci était assis à la haute table, dans un riche fauteuil, vêtu d’une grande robe d’apparat. Devant lui, sur un plateau d’argent, se trouvaient sa couronne et son sceptre d’or et de pierreries ; sur un autre, il y avait une épée droite, tranchante et claire. Assurément, Claudas paraissait un roi sage et puissant, mais son visage n’en était pas moins cruel et félon. Il fit cependant bel accueil aux fils du roi Bohort, et appelant Lionel dont il admirait fort les manières et la contenance, il lui tendit sa coupe en l’invitant à boire. Mais le garçon ne le voyait même pas : il n’avait d’yeux que pour l’épée luisante. C’est alors que Saraïde s’avança vers lui et, lui posant les mains sur les joues, elle lui tourna doucement la tête vers la coupe. Puis, après l’avoir couronné ainsi que son frère d’une guirlande de fleurs nouvelles et odorantes, elle leur passa au cou un petit collier d’or et de pierreries. « Bois maintenant, fils de roi, dit-elle à Lionel. – Certes, je boirai, répondit Lionel, mais c’est un autre qui paiera le vin ! » Et il prit la coupe dans sa main. « Brise-la ! Jette-la par terre ! » lui cria son frère. Mais Lionel ne jeta pas la coupe sur le sol. Il l’éleva au contraire au-dessus de lui et brusquement l’abattit sur le visage de Claudas avec une telle force qu’il eut une plaie sur le front. Puis, renversant le sceptre et l’épée, il saisit la couronne, la jeta sur le pavé, l’écrasa du talon et en fit voler les pierres alentour.
Un grand murmure monta dans l’assistance. Dorin se précipita au secours de son oncle qui gisait, couvert de vin et de sang. Les barons se levèrent, les uns pour se lancer contre les enfants, les autres pour les défendre. Lionel
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