Lancelot du Lac
viennes à combattre le roi Arthur lui-même. Alors, voici ce que je te demande : au cours de ce combat, tu auras le dessus, et il sera hors de question que tu lui fasses grâce. Tu délaceras son heaume et tu mettras ton épée sur son cou, près de lui trancher la tête. Alors j’interviendrai et je te dirai : donne-lui merci et rends-toi à sa discrétion. Tu devras m’obéir puisque tu en as fait le serment (31) . »
Galehot resta un long moment interdit, en proie à des pensées tumultueuses. « Aurais-je donc accompli tant de prouesses pour en arriver là ? » murmura-t-il. Lancelot le laissa à ses réflexions et sortit de la tente. Quelques instants plus tard, Galehot vint le rejoindre. « Ami, dit-il, je vois bien que j’ai tant couru que je ne peux plus me retourner ! Je n’ai rien à te refuser, mais plutôt que de continuer à me battre pour rien, je préfère tout de suite faire ma paix avec le roi Arthur. – Ami très cher, répondit Lancelot, je t’en sais gré et je t’affirme que, désormais, tu n’auras pas de plus fidèle compagnon ! » Et les deux hommes s’embrassèrent. Puis Galehot revêtit sa plus belle robe, prit son meilleur palefroi, et, sans autre arme que son épée, le visage découvert, il s’en alla vers le camp d’Arthur.
Les guetteurs furent bien ébahis de voir le seigneur des Îles Lointaines seul au milieu de ses ennemis. Ils lui demandèrent où il allait et ce qu’il voulait. « Conduisez-moi au roi Arthur ! » dit-il simplement. On le mena jusqu’à la tente où Arthur conversait avec son neveu Gauvain qui, souffrant toujours de ses blessures, reposait sur un lit. Galehot descendit de cheval, mit un genou en terre devant le roi et déposa son épée sur le sol. « Roi Arthur, dit-il d’une voix ferme, Galehot, fils de la Géante, seigneur des Îles Lointaines, vient vers toi et te prie de l’écouter. Sache que je me repens d’avoir mal agi envers toi en voulant, sans aucun droit, envahir ton royaume. Sache que c’est librement et sans artifice que je me déclare ton homme lige et que je te reconnais comme mon seigneur légitime. Fais de moi ce qu’il te plaira. »
Quand il entendit ces paroles, le roi Arthur fut rempli d’une joie immense. Il se leva et, sans rien dire, fit relever Galehot et échangea avec lui le baiser de paix. Puis tous deux se mirent à parler longuement tandis qu’on leur servait des breuvages. Galehot demeura toute la journée auprès d’Arthur, et celui-ci voulut que le seigneur des Îles Lointaines couchât cette nuit-là dans la même tente que lui. Quant aux chevaliers d’Arthur, ils manifestèrent leur joie en assurant Galehot de leur amitié et de leur respect.
Le lendemain matin, Galehot s’en revint à son camp et demanda des nouvelles de son compagnon. On lui dit que, toute la nuit, le chevalier aux armes noires avait pleuré à la dérobée en répétant sans cesse : « Hélas ! chétif que je suis ! que puis-je faire ? » Galehot entra dans la tente et vit bien que son hôte avait les yeux rouges et la voix enrouée, que les draps de son lit étaient mouillés de larmes. Alors, il le prit par la main et, l’emmenant à l’écart, lui demanda très doucement : « Beau compagnon, d’où vient ce deuil que tu as mené toute la nuit ? » Mais Lancelot lui répondit que souvent il se plaignait ainsi pendant son sommeil. Galehot insista pour en savoir davantage, mais l’autre ne voulut rien dire. Galehot le voyant alors s’abîmer dans une profonde rêverie finit par se douter que son compagnon était atteint d’une maladie d’amour incurable. Il lui dit : « Ami, par la foi que je te dois, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ton chagrin n’ait plus de raison d’être. – Seigneur, tu as déjà fait beaucoup pour moi. Aussi vais-je te dire qui je suis : Lancelot du Lac, le fils du roi Ban de Bénoïc. C’est parce que j’ai toute confiance en toi que je te le révèle, mais je t’en prie, fais en sorte que personne ne le sache. – Sois assuré, ami, que ce n’est pas de moi qu’on le saura. »
Dans l’après-midi, Galehot retourna chez le roi Arthur. Tout à coup, Gauvain lui demanda comment il avait décidé de faire sa paix avec le roi. Il répondit que c’était par la volonté d’un chevalier. Guenièvre, qui se trouvait là, intervint alors : « Ne serait-ce pas le chevalier aux armes noires ? – Oui, certes, c’est bien lui. – Et quel est son nom ?
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