Lancelot du Lac
trouvait la reine. Le roi était auprès d’elle, ainsi que Gauvain, qui s’était fait transporter là, trop blessé pour pouvoir participer à la bataille. La Dame de Malehaut ne tarda pas à arriver à son tour et elle vit bien son prisonnier immobile au bord du gué. « Dieu ! dit-elle à haute voix, quel peut être ce chevalier tout pensif que j’aperçois au bord de la rivière ? Il semble totalement hors de sens et il n’aide ni ne nuit à personne ! » Dans la loge, chacun regarda l’inconnu. « La semaine dernière, dit Guenièvre, un chevalier rêvait ainsi auprès du gué. Mais il portait des armes vermeilles. » La Dame de Malehaut dit à la reine : « Dame, ne te plairait-il pas de faire demander à ce chevalier qu’il combatte pour l’amour de toi ? – Belle amie, j’ai bien d’autres choses à penser quand le roi risque de perdre sa terre et son honneur ! Il n’a même plus son neveu Gauvain pour défendre son droit. Mais si tu y tiens, demande-lui de combattre pour toi ou pour d’autres dames, tout ce que tu voudras. »
La Dame de Malehaut appela l’une de ses suivantes. « Va trouver ce chevalier qui rêve là-bas auprès du gué, dit-elle, et fais-lui entendre que toutes les dames de la maison d’Arthur, à part la reine, le prient de combattre pour l’amour d’elles ! » Gauvain avait entendu ce que disait la Dame de Malehaut. Il appela l’un des écuyers et lui dit : « Va aussi trouver le chevalier et présente-lui ces deux lances de ma part ! » Lancelot écouta le message de la suivante et accepta les deux lances qui lui étaient offertes par Gauvain. Puis, ayant ajusté ses étriers, il piqua des deux vers la prairie. Dédaignant les jeunes chevaliers qui galopaient çà et là, il plongea au beau milieu d’un groupe de combattants, renversa du premier coup celui qui lui faisait face et comme sa lance s’était brisée, il en saisit les tronçons et se mit à frapper tous ceux qui se présentaient. Alors, il alla prendre la seconde lance que lui avait apportée l’écuyer et reprit le combat jusqu’à ce que son arme fût en morceaux. Il fit de même avec la troisième lance, qui était celle que lui avait donnée la Dame de Malehaut. Et, ensuite, il quitta la bataille et s’en retourna au bord de l’eau, s’arrêta au lieu même d’où il était parti et, tournant son visage vers la loge, il se replongea dans sa rêverie.
Gauvain se pencha vers la Dame de Malehaut. « Dame, j’ai l’impression que tu as mal agi en voulant que ce chevalier fût le champion de toutes les dames, sauf de la reine Guenièvre. » La Dame de Malehaut sourit. « J’ai fait selon ma conscience, répondit-elle ; à toi, seigneur Gauvain, de faire selon ton vœu ! » Gauvain se pencha alors vers l’oreille de Guenièvre. « Reine, dit-il, je suis sûr que ce chevalier accomplirait des prouesses si tu lui faisais commandement de combattre pour l’amour de toi. Cela lui procurerait honneur et joie. Quant à moi, je veux lui envoyer dix bonnes lances et mes trois plus beaux chevaux couverts de mes armes. J’ai l’impression qu’il emploiera bien tout cela ! – Beau neveu, dit la reine, il sera fait selon ton vœu. Ordonne ce que tu veux en mon nom. »
Gauvain fit transmettre son message au chevalier qui continuait à rêver sur le gué. Quand il l’eut entendu, Lancelot prit la plus forte des dix lances et se précipita à l’endroit où la bataille était la plus rude : les gens du roi Ydier de Cornouailles combattaient ceux du roi Baudemagu de Gorre, et il y avait là de nombreux compagnons de la Table Ronde, en particulier Yvain, le fils du roi Uryen, Dodinel le Sauvage, Gaheriet, frère de Gauvain, et Girflet, le fils de Dôn. Parvenu dans la mêlée, Lancelot s’élança dans une course folle et fit voler tout ce qu’il heurtait, abattant hommes et chevaux à la fois, arrachant les heaumes, trouant les boucliers et accomplissant tant d’exploits que tous les assistants se demandaient si ce chevalier n’était pas le diable en personne.
Lorsque son premier destrier eut été tué sous lui, Lancelot sauta sur celui que lui présentait l’un des écuyers de Gauvain. Il l’étreignit rudement et replongea dans la mêlée, aussi frais que s’il n’eût pas encore mis l’épée à la main. Or le cheval était couvert des armes de Gauvain, ce qui étonna fort les gens du roi Arthur et tous ceux de la Table Ronde. Mais celui qui fut le plus ébahi,
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