Lancelot du Lac
– Dame, je ne le sais. – Comment ? fit le roi. Tu ne connais même pas le nom de celui qui a réussi à nous accorder ! Cela me paraît bien étrange. Je me demande vraiment qui il peut être. Assurément, il n’est pas de ma terre, car il ne s’y trouve pas un preux chevalier dont je ne connaisse le nom. Mais, Dieu m’est témoin, pour avoir la compagnie et l’amitié de cet homme, je donnerais la moitié de tout ce que je possède, hormis le corps de la reine, ma femme, dont je ne ferais don à personne ! »
Tout le monde approuva les paroles du roi. Mais Gauvain ajouta : « Moi, je voudrais être la plus belle femme du monde afin que le chevalier aux armes noires m’aimât toute sa vie ! » Galehot, qui commençait à comprendre le secret de Lancelot, se tourna vers la reine : « Et toi, Dame, dit-il, que donnerais-tu pour qu’un tel chevalier fût toujours à ton service ? – Par Dieu, répondit Guenièvre, je crois bien que Gauvain a bien dit tout ce qu’une femme peut offrir ! » En entendant ces mots, ils se mirent tous à rire. La reine se leva pour se retirer, mais elle pria Galehot de l’accompagner. Quand ils furent un peu à l’écart, elle lui dit : « Galehot, ma reconnaissance t’est acquise pour ton geste qui t’honore grandement, et je ferai pour toi plus que tu ne penses. Je suis certaine que le chevalier aux armes noires se trouve chez toi, et il se pourrait fort bien qu’il ne me fût pas inconnu. Si tu as quelque amitié pour moi, fais en sorte que je puisse le rencontrer. – Dame, cela dépend de lui. Il n’est pas mon homme lige. – C’est le chevalier que j’aimerais le plus connaître, seigneur Galehot. D’ailleurs, qui ne voudrait connaître un homme si brave et si audacieux ? Il n’est pas possible que tu ne saches pas où il est. Ne veux-tu point me le dire ? – Dame, répondit Galehot, je pense qu’il se trouve en mon pays de Sorelois. – Alors, dit la reine, je t’en prie, beau doux ami, envoie un messager pour lui dire de venir, et qu’il chevauche jour et nuit ! »
Là-dessus, Galehot quitta la reine, mais il savait maintenant à quoi s’en tenir à propos du chagrin de Lancelot. Il alla donc retrouver celui-ci et lui raconta tout ce qui s’était passé entre lui, Arthur et ses compagnons, sans oublier la conversation qu’il avait eue avec Guenièvre. « Que dois-je répondre à la reine ? » demanda-t-il. Lancelot se mit à soupirer. « Je ne sais, répondit-il. – Ami, reprit Galehot, je ne saurais mieux te conseiller qu’en te disant d’accepter de rencontrer la reine. – Puisqu’il en est ainsi, dit Lancelot, agis comme bon te semble. »
La reine Guenièvre était certainement la plus belle femme qui fût jamais vue depuis Hélène la sans pareille, femme du roi Ménélas. Elle était grande, droite et bien faite, ni grosse ni maigre, mais entre les deux. Ses seins, bien placés, menus, blancs et serrés, soulevaient sa robe comme deux petites pommes très dures. Sa taille était étroite, ses reins assez larges pour mieux souffrir les jeux d’amour ; ses bras étaient ronds, longs et pleins, ses doigts très fins, ses mains petites. Elle était si avenante de corps et de membres qu’on n’y trouvait aucun défaut. Ses cheveux étaient blonds et luisants comme une coupe d’or, et ils retombaient en tresses souples jusqu’à ses hanches. Elle avait les yeux verts et brillants comme ceux d’un faucon de montagne, les sourcils bruns et déliés, la peau plus blanche que celle d’une sirène ou d’une fée, plus tendre que la fleur de mai, plus fraîche que la neige qui vient de tomber. Son front était lisse comme le cristal ; ses lèvres vermeilles, un peu charnues, comme invitant au baiser ; ses dents claires, riantes, bien dessinées. Bref, elle avait l’air d’un ange descendu des nuées célestes pour le bonheur des humains. Mais autant sa beauté était grande, autant sa sagesse et ses manières étaient exceptionnelles, et tous ceux qui l’approchaient ne cessaient de vanter ses mérites.
Quatre jours s’écoulèrent, et la reine s’impatientait. Chaque fois qu’elle se trouvait en présence de Galehot, elle le priait de hâter l’entrevue, car elle soupçonnait bien que le chevalier aux armes noires n’était pas aussi loin qu’on le disait. Enfin, le cinquième jour, comme elle lui demandait des nouvelles, Galehot répondit : « Elles sont bonnes. La fleur des chevaliers est
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