Lancelot du Lac
arrivée ! » Le cœur de Guenièvre en tressaillit de joie. « Je suis heureuse, dit-elle, mais comment faire pour le voir en secret ? Je ne tiens pas à être l’objet de médisances ! – Je comprends, dit Galehot. Aussi vais-je t’expliquer ce que nous allons faire. » Il lui montra alors un coin de la prairie tout couvert d’arbrisseaux, et il lui recommanda de venir là au crépuscule, seule ou avec une suivante en qui elle avait toute confiance. « Beau doux ami ! s’écria-t-elle, tes paroles me ravissent de contentement ! Plût au Ciel qu’il fit nuit tout de suite ! »
Toute la journée, elle devisa de choses et d’autres pour tromper son impatience. Enfin, le soir venu, elle prit la main de Galehot et lui demanda de l’accompagner à la promenade, et elle fit la même proposition à la Dame de Malehaut. Ils s’en allèrent alors, par les prés, jusqu’au lieu du rendez-vous. Galehot et la reine s’assirent sous les arbres, un peu à l’écart de la Dame de Malehaut. « J’ai demandé à mon sénéchal d’amener ici celui que tu attends », expliqua Galehot. Le cœur de Guenièvre battait très fort. Pendant ce temps, le sénéchal et son compagnon passaient le gué et s’en venaient à travers la prairie. Lancelot était si beau qu’on n’eût point trouvé son égal dans tout le pays. Aussi, dès qu’elle aperçut son ancien prisonnier, la Dame de Malehaut le reconnut fort bien ; mais, lorsqu’il passa en la saluant, elle baissa la tête pour que lui-même ne la reconnût point.
Quand il arriva devant la reine avec le sénéchal, Lancelot tremblait si fort qu’à peine put-il mettre genou à terre. Il avait perdu toute couleur et baissait les yeux comme en proie à la honte. Alors, Galehot, qui s’apercevait du trouble de son ami, demanda au sénéchal d’aller tenir compagnie à la Dame de Malehaut. Dès qu’il se fut éloigné, la reine releva par la main le chevalier agenouillé et le fit asseoir à côté d’elle sur l’herbe tendre. « Seigneur, dit-elle en riant, nous t’avons beaucoup désiré ! Enfin, par la grâce de Dieu et de Galehot, nous réussissons à nous voir ! Encore ne suis-je pas entièrement sûre que tu es bien celui que je demande. Galehot me l’a dit, certes, mais j’aimerais bien l’apprendre de ta propre bouche. Qui es-tu ? »
Lancelot n’osait pas encore regarder son visage. En guise de réponse, il murmura qu’il n’en savait rien. Alors, voyant que son trouble augmentait, Galehot se décida à agir. « Je suis bien grossier, dit-il, de laisser les autres sans compagnie. » Et, se levant, il alla rejoindre son sénéchal et la Dame de Malehaut.
« Seigneur chevalier, reprit la reine, pourquoi ce mystère ? Pourquoi t’obstines-tu à cacher ton nom ? Es-tu vraiment le chevalier aux armes noires qui fit tant de prouesses l’autre jour ? » Comme Lancelot ne répondait toujours pas, Guenièvre comprit alors que c’était par modestie : il ne voulait assurément pas qu’on parlât de sa vaillance. Elle n’insista pas davantage, mais se résolut à tenter autre chose : « Qui donc t’a fait chevalier ? – Dame, répondit-il immédiatement, c’est toi-même ! – Comment cela ? » dit la reine, faisant semblant d’être étonnée. Alors Lancelot se mit à parler. Il lui dit comment la Dame du Lac l’avait conduit à la cour du roi Arthur, vêtu d’une robe blanche, et comment il avait été adoubé le dimanche suivant. Mais le roi n’avait pas eu le temps de lui ceindre l’épée, et c’était d’elle qu’il tenait la sienne : il était donc son chevalier. Puis il raconta tout ce qu’il avait fait depuis. Quand elle sut que c’était lui qui avait conquis la Douloureuse Garde et qui en avait levé les sortilèges, elle se souvint de ce que lui avait dit la jeune Saraïde, l’envoyée de la Dame du Lac. Elle s’écria : « Je sais bien qui tu es. Tu es Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc ! »
Lancelot se réfugia dans le silence. Elle reprit : « Maintenant, je voudrais que tu me dises pour qui tu as fait cela. Je ne le répéterai à personne. Je suis sûre que si tu as accompli tant de prouesses, c’est pour l’amour d’une dame. Par la foi que tu me dois, quelle est-elle ? – Ah ! répondit Lancelot, je vois bien qu’il me faut l’avouer : cette dame, c’est toi, reine Guenièvre ! – Pourtant, fit la reine, ce n’est pas pour moi que tu as rompu les deux lances
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