Lancelot du Lac
monde ! – Il m’a suffi de te voir pendant tout ce jour. J’ai la prétention de reconnaître la valeur d’un homme, quel que soit le pays de cet homme ! »
Lancelot arrêta son cheval et détourna la tête. « J’ai peine à croire ce que tu dis, murmura-t-il, et pourtant, je suis tenté de te faire confiance. – Assurément, tu le peux. » Lancelot descendit de son cheval et Galehot en fit autant. « Seigneur, dit Lancelot, tu passes pour un homme sage et avisé, pour un guerrier sans reproche, et, bien que tu sois l’ennemi du roi Arthur, je te tiens pour un homme loyal. Es-tu sincère quand tu me convies à ton logis, ou est-ce une ruse de ta part pour m’éloigner du roi Arthur ? – Tu me juges mal, décidément, répliqua Galehot. Si tu viens avec moi, je m’engage à ce que tu puisses à chaque instant retourner vers les tiens. C’est une promesse solennelle que je te fais, et je la tiendrai sur mon honneur et sur mon âme. – Dans ce cas, je te suivrai. Mais j’y mets une condition : que tu m’accordes un don quand je te le demanderai ! – Je jure sur mon honneur et sur mon âme que, quel que soit le don que tu me demanderas, il sera accordé. » Alors Lancelot suivit Galehot, le seigneur des Îles Lointaines.
Cependant cette scène avait eu un témoin, Gauvain, qui, de l’autre côté de la rivière, sur un tertre, avait vu Lancelot partir en compagnie de Galehot, le bras droit autour du cou de celui-ci. Gauvain en demeura stupéfait. Il appela le roi Arthur et lui dit :
« Mon oncle, la trahison est parmi nous. Voici le chevalier aux armes noires qui fait alliance avec nos ennemis ! » Arthur regarda dans la direction que lui avait indiquée son neveu et ne put que constater qu’il avait raison. Il en fut tout triste et dolent : « Dieu ! soupira-t-il, que t’ai-je fait pour que tu m’abandonnes ainsi dans les épreuves qui sont les miennes ? Si ce chevalier dont je ne connais pas le nom me fait défaut, je ne vois pas comment je pourrai vaincre celui qui prétend me déposséder d’un royaume que j’ai reçu de toi ! » Et Arthur se retira sous sa tente, pleurant amèrement et regrettant une fois de plus l’absence de Merlin. Quant à Gauvain, toujours sous le coup de l’indignation, il alla parler à la reine et lui dit : « Voici que tout s’écroule autour de nous ! Ah ! Dame ! tu peux dire que tes hommes sont désormais perdus et vaincus ! Galehot a emmené avec lui le seul qui pouvait sauver le royaume de la servitude. Désormais, c’en est fait ! Galehot va déployer ses troupes dans le pays et nous ne pourrons rien entreprendre pour nous préserver d’un destin mortel ! » Et, tout en parlant, Gauvain pâlissait. Ses blessures le faisaient cruellement souffrir, et l’idée que tout était perdu ajoutait à son émoi. Il s’évanouit par trois fois, et la reine et ses suivantes eurent toutes les peines du monde à le faire revenir à lui.
Pendant ce temps, le seigneur des Îles Lointaines menait Lancelot à sa tente, où, après l’avoir fait désarmer, il lui donna une très belle robe brodée d’or et d’argent. Puis, quand ils eurent mangé et bu à satiété, Galehot le conduisit dans sa propre chambre où il avait fait dresser un lit recouvert de fourrures blanches. Ils conversèrent longuement, puis Galehot prit congé de son hôte et sortit. Lancelot, resté seul, pensait au grand honneur qui lui était fait et se prit à estimer Galehot au plus haut point. Une fois couché, il s’endormit tout de suite, tout recru de fatigue qu’il était. Quand Galehot sut qu’il était endormi, il revint dans la chambre et se coucha près de lui, le plus doucement possible, ainsi que deux de ses chevaliers, sans personne d’autre. Le chevalier dormit toute la nuit profondément, mais il se plaignit souvent pendant son sommeil. Galehot, qui ne dormait guère, l’entendit parfaitement et réfléchit au moyen de le retenir près de lui (30) .
Au matin, à la pointe du jour, Lancelot se réveilla et vit Galehot près de lui. Il lui sourit et lui dit : « Beau doux ami, te souvient-il du don que tu as juré de m’accorder ? – Certes, répondit Galehot, je n’aurais garde de l’oublier puisque j’en ai fait le serment. Quel est le don que je te dois ? » Lancelot hésita un instant avant de répondre : « Les batailles que nous avons entreprises ne servent à rien, seigneur des Îles Lointaines. Il faudra bien qu’un jour, tu en
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