Lancelot du Lac
possible pour la secourir. Aussi, ai-je besoin d’un conseil. – Seigneur, dit le vavasseur, tu as emprunté un très rude chemin, celui qui mène au Pont de l’Épée tout droit. Mais on peut y parvenir par une autre route, beaucoup plus sûre. – Cet autre chemin, demanda Lancelot, est-il aussi droit que celui-ci ? – Il est plus long, mais moins périlleux. – Alors, je n’en veux pas. Renseigne-moi plutôt sur le chemin qui passe par ici. – Seigneur, tu n’y gagneras rien de bon, car dès demain, tu parviendras à un endroit où tu pourrais rencontrer grand dommage. Il a pour nom le Passage des Pierres. C’est un lieu dangereux. Pour qu’un cheval y passe, il faut un miracle, car il est si étroit que deux hommes de front ne peuvent le franchir. De plus, il est bien défendu, entre deux montagnes, fermé par deux grandes barres de fer, et un chevalier en armes assisté de deux sergents en assure la garde jour et nuit. Tu risques fort de recevoir de nombreux coups avant d’atteindre l’autre côté. » L’un des fils, qui était chevalier, fit deux pas en avant et dit : « Mon père, si tu le permets, j’accompagnerai le chevalier. » À son exemple, un autre de ses fils, le plus jeune, qui n’était encore que valet, se leva : « J’irai moi aussi », dit-il. Le père donna son accord et se tourna vers Lancelot : « Qu’en penses-tu ? – C’est bien, répondit-il. La générosité de tes fils est si grande que je ne peux refuser leur aide. » Cela dit, ils allèrent tous se coucher (42) .
8
Le Pont de l’Épée
Très tôt, le lendemain, ils partirent tous les trois, et parvinrent peu après au Passage des Pierres. Une bretèche en barrait l’entrée, avec un guetteur aux aguets. Alors qu’ils s’en trouvaient encore assez éloignés, le guetteur cria à pleins poumons : « Un ennemi vient à nous ! » Répondant à l’appel, surgit aussitôt un chevalier en selle, tout flambant dans son armure neuve, tandis que, de chaque côté, paraissaient simultanément des sergents portant des haches affilées. Quand Lancelot fut plus près, le chevalier, qui le toisait, s’exclama : « Vassal ! tu as beaucoup d’audace et la cervelle bien légère pour te risquer en ce pays ! Qui fut promené en charrette aurait dû renoncer à venir par ici. De ce que tu as fait, tu n’en tireras nul avantage, bien au contraire ! »
Pour toute réponse, Lancelot abaissa sa lance, et de tout l’élan de leurs chevaux, les deux adversaires fondirent l’un sur l’autre. Celui qui gardait le passage eut sa lance brisée en deux morceaux de sorte qu’il ne lui restait rien au poing. Mais Lancelot n’en avait pas fini. Il lui glissa son coup droit par-dessus la panne du bouclier, l’ajusta en pleine gorge et l’envoya, ventre en l’air, sur les rochers du défilé, pieds d’un côté, tête de l’autre. Les sergents, hache en main, bondirent en avant, mais ils manquèrent exprès Lancelot et son cheval, n’ayant visiblement aucune envie de continuer la lutte. Lancelot, s’apercevant alors qu’ils étaient inoffensifs, négligea donc de tirer son épée et franchit le défilé sans plus tarder.
Tous trois poursuivirent leur route sans autre aventure pendant toute la matinée, mais il était plus de midi quand ils rencontrèrent un indiscret qui leur demanda qui ils étaient. « Nous sommes des chevaliers qui allons où le devoir nous appelle ! » L’homme dit alors à Lancelot : « Seigneur, j’aimerais bien dès maintenant vous héberger, toi et tes compagnons ! – Prendre à l’heure qu’il est un logis pour la nuit, tu n’y penses pas ! répondit Lancelot. Lâche est celui qui s’attarde en route et fait halte à son aise alors qu’il a entrepris quelque chose de grand ! – Seigneur, ne te fâche pas, reprit l’homme. Ma demeure n’est pas tout près d’ici, et il faut du temps pour l’atteindre. Mais elle se trouve sur le chemin que tu vas suivre, et tu seras bien aise ce soir de t’arrêter chez moi pour y prendre ton gîte, car il sera très tard. – Dans ce cas, dit Lancelot, nous logerons dans ta demeure. »
Lancelot et les deux fils du vavasseur chevauchèrent le reste du jour. À la tombée de la nuit, ils retrouvèrent l’homme qui les avait invités et qui les guida jusqu’à son manoir. La Dame leur fit fête, et ses fils ôtèrent les selles des chevaux tandis que ses filles s’empressaient auprès des voyageurs pour les désarmer et
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