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Lancelot du Lac

Lancelot du Lac

Titel: Lancelot du Lac Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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fuir l’eau perfide aux flots noirs et grondants, comme ceux d’un torrent infernal, et on savait tout aussitôt que, tombé dans ce courant périlleux, nul ne pourrait résister. Quant au pont qui le franchissait, on voyait bien qu’il n’était pareil à aucun autre : c’était une grande épée bien polie qui brillait de blancheur, jetée en travers de l’eau froide. Elle mesurait bien deux lances de longueur. Il y avait sur chaque rive un grand billot de bois où elle était fichée. Certes, on ne pouvait craindre une chute causée par sa rupture ou son fléchissement, car elle semblait d’une solidité et d’une raideur à toute épreuve. Mais, ce qui ajoutait encore à la terreur, c’était d’apercevoir sur l’autre rive deux lions, ou bien deux léopards, enchaînés à un bloc de pierre. L’eau, le pont et les fauves, tout alentour glaçait d’effroi.
    À cette vue, les deux fils du vavasseur, qui s’étaient pris d’affection autant que d’admiration pour Lancelot, le prirent à part et lui dirent : « Chevalier, fie-toi au conseil que te donnent tes yeux : il te faut l’accepter. Ce pont ! quel assemblage affreux, quelle horrible charpente ! Si tu ne retournes pas maintenant sur tes pas, tu t’en repentiras trop tard. Dans la vie, on doit souvent délibérer avant d’agir, c’est la sagesse que notre père nous a enseignée. Imaginons que tu parviennes à passer de l’autre côté, ce qui nous paraît chose impossible, autant qu’interdire au vent de souffler, comment te persuader que ces deux lions ne voudront pas s’abreuver de ton sang ? En peu de temps, ils t’auront mis en lambeaux. Aie pitié de toi et reste avec nous. Tu manquerais à tous tes devoirs si, de toi-même, tu te jetais dans un péril où la mort est certaine. – Je vous remercie, mes doux amis, de vous préoccuper ainsi de mon sort. Votre émoi indique des cœurs généreux. Je sais qu’en aucune façon vous ne souhaitez mon malheur. Mais je me fie à Dieu, en qui je crois, et non à ce que je vois. Je sais que Dieu me protégera parce que j’agis pour une juste cause. Ce pont et cette eau traîtresse ne me font pas plus peur que le sol sous mes pieds. Passer sur l’autre rive est un péril où je veux me risquer. De toute façon, il vaut mieux mourir que reculer. »
    Les deux compagnons, à bout d’arguments mais saisis de compassion, laissèrent libre cours à leurs pleurs et à leurs soupirs, tandis que Lancelot se préparait à franchir le gouffre. Il ôta son armure de manière à conserver toute sa souplesse. Il ne pouvait ignorer bien sûr qu’il n’arriverait pas indemne et sans entailles au terme de l’épreuve ; mais il avait la certitude que, sur cette épée plus affilée qu’une faux de moissonneur, il pourrait se tenir fermement, les mains nues et les pieds libres. Peu lui importaient alors les plaies aux mains et aux pieds : mieux valait s’estropier que tomber du pont et prendre un bain forcé dans une eau de laquelle il ne pourrait jamais sortir. Alors, il se lança hardiment, et à force de ténacité et d’endurance, ne cessant de penser à celle qu’il aimait, s’aidant des mains, des pieds et des genoux, il rampa sur l’épée et parvint enfin au but tant désiré.
    Alors, il se rappela les deux lions qu’il avait aperçus de l’autre rive et promena son regard autour de lui. Mais il n’y avait rien, pas même un lézard. Il se souvint aussi de l’anneau qu’il portait au doigt et qui lui avait été donné par la Dame du Lac. Il le mit devant ses yeux : nul doute, il avait été abusé par un enchantement que la puissance de l’anneau avait dissipé. Il n’y avait, autour de lui, pas âme qui vive. Alors, tandis qu’il étanchait le sang de ses blessures avec l’étoffe de sa chemise, il vit droit devant lui une tour massive, puissante, comme jamais il n’en avait vu. C’était là que résidait le roi Baudemagu (44) .
    Or Baudemagu était à l’une des fenêtres de la tour quand Lancelot avait traversé le Pont de l’Épée. La reine Guenièvre se trouvant non loin de lui, il la fit venir et lui montra le chevalier en train d’accomplir son exploit. « Dis-moi, reine, demanda-t-il, dans ton intérêt et au nom des services que je t’ai rendus, dis-moi, je te prie, le nom du chevalier qui a franchi le pont. Je sais que c’est pour toi qu’il l’a fait ! – Je ne te cacherai rien, roi Baudemagu, répondit-elle. Je ne peux l’affirmer vraiment,

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