Lancelot du Lac
et son fils, tout heureux de le voir vivant. Mais comme Lancelot se désolait d’avoir perdu son haubert, le vavasseur lui dit : « Ne te tourmente pas pour cela. Je vais t’en donner un autre. » Il s’adressa à son fils : « Que t’en semble, mon enfant ? N’est-il pas un preux chevalier, celui qui a tenté cette redoutable épreuve ? Tu sais maintenant qui de nous deux avait tort, toi ou moi. Reconnais le signe que je t’avais annoncé. Il ne nous reste plus qu’à repartir ; mais, auparavant, je veux que tu donnes ton haubert à ce chevalier qui en a tant besoin. » Sans protester, le fils retira son haubert et le tendit à Lancelot. Puis tous deux prirent congé et quittèrent le cimetière.
L’ermite dit à Lancelot : « Seigneur, peux-tu me dire qui tu es ? – Je ne le veux point, répondit Lancelot. Je ne suis qu’un chevalier parmi tant d’autres. » L’ermite n’insista pas et Lancelot prit à son tour congé pour aller rejoindre la jeune fille qui l’attendait dehors. Sans un mot, il remonta sur son cheval, et tous deux reprirent leur chemin. Lancelot était agité de sombres pensées, triste et déçu de ne pas avoir achevé l’aventure, mais sachant néanmoins qu’il parviendrait à délivrer la reine. Cependant, la jeune fille, qui chevauchait à son côté, voulant à tout prix savoir son nom, ne cessait de le questionner. Alors, Lancelot lui dit : « Je suis un chevalier du roi Arthur. Par la foi que je dois à Dieu, tu n’en sauras pas davantage. » À ces mots, la jeune fille lui demanda la permission de le quitter : elle aimait mieux retourner chez elle plutôt que de continuer ce voyage avec un compagnon dont elle ignorait le nom. Lancelot ne la retint pas et la vit s’éloigner sans aucun déplaisir.
Il chevaucha longtemps et, au moment où la nuit tombait, rencontra un vavasseur qui l’invita à loger chez lui. Il accepta volontiers et le suivit jusqu’à un beau manoir où il fut accueilli par des jeunes gens qui s’empressèrent de le désarmer et de conduire son cheval à l’écurie. C’étaient les fils du vavasseur. Lancelot fut reçu avec les plus grands égards ; mais quand le souper fut terminé, le vavasseur chercha à savoir qui était son hôte. « Je suis du royaume de Bretagne, répondit Lancelot, et je viens dans ce pays pour la première fois. » À ces mots, le vavasseur, sa femme et ses enfants manifestèrent une grande tristesse. « C’est pour ton malheur que tu es venu ici, beau doux seigneur ! dirent-ils. Combien ton sort est digne de pitié ! Maintenant, toi aussi, tu vivras comme nous dans l’exil et l’esclavage ! – Comment cela ? s’étonna Lancelot. Quelle est donc votre terre, à vous autres ? – La même que la tienne, seigneur. Dans le pays où nous sommes, beaucoup de braves gens que ton pays vit naître sont réduits à l’esclavage. Ah ! maudite soit pareille coutume et maudits soient ceux qui la maintiennent ! Car tous les étrangers qui viennent ici sont contraints d’y rester : ce pays devient leur prison. Entre qui veut, mais tout retour est impossible (41) . Tu ne sortiras jamais plus de ce royaume. – J’en sortirai si je le veux ! répliqua Lancelot d’une voix ferme. – Et comment ? s’étonna le vavasseur. – Je ferai de mon mieux pour qu’il en soit ainsi. – Je le souhaite, reprit le vavasseur, car si tu en sors, tous les autres ne craindront plus rien et partiront librement. La coutume veut en effet que si un seul d’entre nous parvient, au cours d’un combat loyal, à s’affranchir de sa captivité, tous les exilés pourront rentrer chez eux sans qu’on cherche à les en empêcher. »
C’est alors que le vavasseur se souvint de la nouvelle qu’on lui avait rapportée : un chevalier valeureux était entré de vive force dans le pays pour secourir la reine qui se trouvait entre les mains de Méléagant, le fils du roi Baudemagu. Il poursuivit ainsi : « Seigneur, ne me cache rien de ton entreprise. En retour, je te le promets, je te conseillerai du mieux que je pourrai. Je n’y perdrai rien si le succès couronne tes efforts. Dis-moi la vérité, c’est notre intérêt à tous. Es-tu venu ici pour délivrer la reine de la prison où l’a conduite l’odieux Méléagant, qui est le mainteneur acharné de cette maudite coutume ? – Tu dis vrai, dit Lancelot. Je ne suis pas venu pour une autre raison. Je ne sais où ma Dame est retenue captive, mais je ferai tout mon
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