Lancelot du Lac
caveau. Il entendit un grand fracas tout au fond et descendit les marches, apercevant une grande clarté dont il ignorait l’origine. Bientôt, ses yeux s’habituèrent à cette intense lumière et il découvrit qu’il se trouvait dans une grande salle au milieu de laquelle il y avait une pierre tombale au moins aussi grande et lourde que celle qu’il venait de soulever. Mais elle brûlait de toutes parts d’une flamme qui s’élançait à une hauteur supérieure à celle d’une lance et répandait une infecte puanteur. Stupéfait, Lancelot s’arrêta. Il perçut alors une voix à l’intérieur de la tombe, une voix qui criait et poussait de longues et lamentables plaintes, terrifiantes à entendre. Frappé lui-même d’horreur, Lancelot recula jusqu’aux marches. Arrivé là, il hésita un instant, puis il soupira et versa d’abondantes larmes en maudissant l’heure de sa naissance. « Mon Dieu ! balbutia-t-il, quel dommage ! » Enfin, il se dirigea vers la tombe et couvrit son visage de son bouclier pour se protéger de la flamme.
Quand il fut tout près, il entendit la voix qui s’adressait à lui : « Fuis, reviens sur tes pas ! Tu n’as ni le pouvoir ni la permission d’achever cette aventure ! – Et pourquoi donc ? s’écria Lancelot. – Je vais te le dire, répondit la voix, mais je veux d’abord savoir pourquoi tu as prononcé ces paroles : Mon Dieu, quel dommage ! » Alors, Lancelot se mit à verser des larmes de douleur, de honte, mais aussi de désespoir. « Dis-le-moi, reprit la voix avec insistance, et ne mens pas ! – J’ai dit cela parce que j’ai trahi et abusé le monde. On me tient pour le meilleur chevalier, mais je sais bien que je ne le suis pas, car un bon chevalier ne ressent pas la peur. Or j’ai eu peur, je l’avoue.
— Tu as raison, continua la voix, et ce que tu dis est vrai : un bon chevalier ne connaît pas la peur. Mais tu n’as pas raison de dire : quel dommage ! sous prétexte que tu n’es pas le meilleur parmi les bons. Avec la force physique et le courage que tu possèdes, il te reste bien des épreuves à accomplir d’où tu tireras gloire et honneur. Certes, le Bon Chevalier n’est pas encore venu, mais le temps est proche où il apparaîtra. Et ce sera grâce à toi, Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc. Il sera bon et beau, et pourvu de toutes les vertus. Aussi, dès qu’il mettra le pied dans cette salle, il éteindra cette flamme de torture qui brûle mon âme et mon corps ! Je te connais bien, Lancelot, ainsi que tous ceux de ton lignage. Sache qu’il sera de ce même lignage, celui qui m’arrachera d’ici, qui occupera le Siège périlleux et mettra fin aux aventures de Bretagne. – Qui es-tu donc ? demanda Lancelot. – Je m’appelle Symeu, répondit la voix, et je suis le neveu de Joseph d’Arimathie, qui apporta de la Terre sainte le Graal dans l’île de Bretagne. Mais à cause d’une faute dont je me suis rendu coupable, je suis tourmenté d’âme et de corps en cette tombe, car Dieu ne veut pas que je sois dans l’Autre Monde. Je souffrirai ce supplice jusqu’au jour où le Bon Chevalier viendra nous délivrer. À présent, va-t’en, Lancelot. Si tu n’as pas toutes les vertus que tu pouvais espérer, tu es néanmoins l’un des meilleurs chevaliers de ce monde.
— Et si j’essayais de soulever la dalle ? demanda Lancelot. – Tu n’y arriveras pas », répondit la voix. Mais comprenant que le chevalier ne quitterait pas la crypte sans avoir tenté l’épreuve, la voix reprit : « Tu es courageux, Lancelot, mais cela ne suffit pas contre des puissances qui te dépassent. Puisque tu veux à tout prix tenter l’épreuve, fais exactement ce que je vais te dire, sinon tu es perdu. Prends sur cette pierre de marbre qui est sur moi, à droite, un peu d’eau que tu y trouveras. C’est l’eau dont le prêtre se lave les mains après avoir communié avec le corps de Notre-Seigneur. Prends de cette eau et asperges-en ton corps, faute de quoi tu seras brûlé. Enlève aussi ton bouclier, il ne ferait que te gêner. » Lancelot suivit les recommandations de la voix, puis alla vers la dalle. Cependant, quelque effort qu’il pût faire, il ne parvint pas à la soulever, et la flamme l’attaqua si gravement que son haubert tomba en morceaux avant qu’il eût remonté l’escalier.
Se retrouvant dehors, il respira à pleins poumons l’air frais. Auprès de l’ermite, se tenaient le vavasseur
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