Lancelot du Lac
mais je crois bien que c’est Lancelot du Lac, le fils du roi Ban de Bénoïc. Et je te prie de le protéger, car ton fils Méléagant sera fort courroucé lorsqu’il s’apercevra qu’un chevalier a réussi l’épreuve lui permettant d’entrer impunément dans la cité de Gorre. »
Baudemagu descendit de la tour, monta à cheval accompagné de quelques-uns de ses familiers et fit mener avec lui un cheval, là où Lancelot étanchait le sang de ses plaies. Voyant le roi venir, Lancelot courut à sa rencontre, car il le connaissait bien et le respectait. Le roi mit pied à terre, l’embrassa et l’accueillit avec joie : « Chevalier, lui dit-il, tu as couru un grand risque pour le grand bonheur que tu attends. Que Dieu te l’accorde, pourvu que je n’en aie pas à souffrir. Je veux que tu n’aies rien à craindre de la part de mon fils Méléagant, et je m’engage à assurer ta sauvegarde tant que tu seras mon hôte dans la cité de Gorre. – Seigneur roi, je te remercie, répondit Lancelot. Ce n’est pas après toi que j’en veux, mais après ton fils. Qu’il se présente puisqu’il veut et doit se battre contre moi. Que cela soit sans retard. Je suis prêt, cet emprisonnement n’a que trop duré. – Ce serait folie ! répliqua Baudemagu. Tu ne peux pas combattre dans l’état où tu es. Attends que tes blessures soient guéries. Je veillerai sur toi, je te le promets. – Roi, je n’ai reçu nulle blessure qui nécessite du repos. Presse-toi d’arranger ce combat, car il me reste d’autres choses à accomplir. – Impossible en tout cas que ce soit ce soir, dit Baudemagu. Il te faudra attendre jusqu’à demain, puisque tu ne tolères pas plus long délai. »
Le roi le fit monter sur le cheval qu’il avait fait amener et le conduisit lui-même dans sa demeure. Là, il donna des ordres aux valets et aux écuyers, disant que Lancelot était son hôte et que sous aucun prétexte il ne tolérerait la moindre marque d’hostilité envers lui. Ayant ainsi parlé, il sortit et s’en alla voir Méléagant. « Cher fils, lui dit-il, te voici en présence d’une occasion dont je t’ai souvent parlé : tu te demandais pourquoi Lancelot du Lac ne venait pas libérer les captifs de ce pays. Tu affirmais qu’il ne les délivrerait pas tant que tu serais en vie. Eh bien, ce Lancelot a tant fait qu’il a franchi le pont qu’aucun chevalier n’a jamais pu traverser. En considérant donc cet acte de courage pour le moins remarquable, tu devrais renoncer à une partie de ce à quoi tu prétends. Tu sais bien que Lancelot vient délivrer la reine Guenièvre sur laquelle tu n’as aucun droit. Si tu la lui rends de bon cœur, tu en retireras plus de renom et d’estime que lui de son exploit, car il a surmonté de graves dangers pour parvenir jusqu’ici. On dira que tu as rendu par générosité ce que tu as conquis par la force, et tout l’honneur t’en reviendra. Mais si Lancelot la conquiert par prouesse, tu perdras tout cet honneur dont je te parle. Je te conseille donc de lui rendre la reine sans plus tarder, et il tiendra ce geste comme une marque de bonté et de réconciliation. De toute façon, tu sais bien qu’il préférerait l’obtenir par bataille que par un don, car il n’est pas de meilleur chevalier que lui. »
Méléagant avait écouté son père avec respect. Mais quand ce fut à lui de parler, il exhala toute sa colère : « Comment ? Je devrais rendre à Lancelot ce que j’ai conquis par ma vaillance ? Tu n’y penses pas, mon père ! En vérité, je n’ai jamais eu une envie aussi irrésistible de combattre un chevalier de sa réputation. S’il est preux, je crois l’être davantage. Je ne suis ni moins grand ni moins vigoureux que lui, et ceux qui m’ont vu à l’œuvre ne m’ont jamais pris pour un lâche. Plus il est brave et renommé, plus j’aurai d’honneur et de gloire à l’emporter sur lui. D’ailleurs, j’ai risqué ma vie pour obtenir la reine : pour quelle raison la lui rendrais-je ? On attribuerait ce geste à la lâcheté et non à la générosité ! Et puisqu’il est venu, ce Lancelot, si brave et si prisé, qu’attend-il pour se mesurer à moi ? – Il attend que je décide le jour et l’heure où aura lieu le combat, dit Baudemagu, mais je te prie une dernière fois, au nom de Dieu et en mon nom, de lui restituer la reine, car tu n’as aucun droit sur elle. – Je n’y renoncerai jamais ! répondit Méléagant. – C’est bon,
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