Lancelot du Lac
dit : « Dame, je t’ai honorée et je n’ai jamais agi contre ta volonté, ce qui devrait me valoir une faveur de ta part. – C’est chose naturelle, répondit-elle. Mais pourquoi dis-tu cela ? – Dame, ce n’est pas pour moi, mais pour mon fils qui est dans une situation désespérée, ce dont je me serais bien passé. Lui aussi, d’ailleurs, s’il n’était habité par l’orgueil. Je ne suis pas fâché de sa défaite, à condition qu’il n’y trouve ni la mort ni la mutilation. C’est pourquoi je te prie de daigner mettre fin au combat. – En toute sincérité, dit la reine, cette bataille m’a aussi chagrinée. Va vite les séparer avant qu’il ne soit trop tard. »
Pendant ce temps, Lancelot avait acculé Méléagant au bout du champ, et tous deux se trouvaient désormais sous les fenêtres de la tour. Aussi entendirent-ils parfaitement les paroles de Guenièvre. Aussitôt, Lancelot abaissa son arme et rengaina son épée. Mais Méléagant en profita pour le blesser par traîtrise en lui portant un mauvais coup. Lancelot n’en fit pas volte-face pour autant. Le roi descendit en courant et tira son fils en arrière. « Laisse-moi faire ! cria Méléagant. C’est ma bataille, et non la tienne ! – Non pas, dit le roi, elle me concerne autant que toi et je vois bien qu’il te tuerait si tu persistais à le combattre. – Mais j’ai l’avantage ! s’écria Méléagant au comble de la fureur. – Balivernes ! cingla Baudemagu. Nous voyons tous ce qu’il en est. Il te faut renoncer, mon fils, avant qu’il ne soit trop tard ! – Mon père, tu peux faire tout ce qu’il te plaira. J’irai donc chercher justice ailleurs ! » Puis, il s’adressa à Lancelot : « Si tu quittes le champ maintenant, tu devras te déclarer vaincu. – Je n’en ferai rien », répondit Lancelot. Alors, le roi prit à part son fils et lui proposa de surseoir à la bataille, sous réserve qu’à une date de son choix, il pourrait se rendre à la cour du roi Arthur et sommer Lancelot de vider leur querelle par un nouveau combat. La reine enfin jura sur les saintes reliques de revenir avec lui s’il parvenait à la conquérir lors de cette rencontre. « Qu’il en soit donc ainsi », accepta Méléagant, visiblement de mauvaise grâce, car il ne pouvait pas agir autrement.
Après avoir prononcé lui aussi le serment, Lancelot fut conduit dans la tour où les valets le désarmèrent et pansèrent ses blessures. Mais Kaï enrageait de la conclusion de l’accord, ayant mille fois préféré que Lancelot achevât la bataille. Ainsi aurait-il été vengé lui-même de l’affront que lui avait fait subir Méléagant. Quant à la reine Guenièvre, elle n’en était pas plus satisfaite, car elle voyait bien que rien n’était réglé et que, tôt ou tard, son sort serait encore lié à l’issue d’un combat. Aussi, se retira-t-elle dans sa chambre, après avoir erré tout le reste du jour dans les salles, silencieuse et mélancolique.
C’est alors que Lancelot, après s’être remis de ses fatigues, pria le roi Baudemagu de le conduire auprès de la reine. « Je n’entends pas m’opposer à ce vœu, répondit le roi, tant je le trouve tout naturel. Je te ferai aussi rencontrer le sénéchal Kaï. » Pour un peu, Lancelot se serait jeté aux pieds du roi, tant il était éperdu de joie, mais le roi l’emmena sans délai dans une chambre où il avait fait dire à Guenièvre de l’attendre. Quand elle aperçut Baudemagu qui venait en tenant Lancelot par la main, elle se dressa vivement devant le roi, montra un visage chagrin, baissa la tête et garda le silence. « Dame, dit le roi, voici Lancelot du Lac. Il m’a prié de le conduire jusqu’à toi. Je pense que cette visite te sera agréable. – À moi, seigneur roi ? répondit la reine. Je ne vois pas en quoi elle me ferait plaisir. Elle est sans intérêt ! »
Baudemagu crut avoir mal entendu. « Comment ! Dame, dit-il, d’où te vient cette étrange humeur ? Tu commets une grande injustice envers celui à qui tu dois tant ! Lancé à ta recherche, il s’est souvent vu en péril mortel. Ne t’a-t-il pas aussi libérée en combattant pour toi mon fils Méléagant, lequel ne t’a rendue que bien à contrecœur ? – Eh bien, seigneur roi, il a perdu son temps, car de tout ce qu’il a fait, je ne lui sais aucun gré ! »
En entendant ces paroles, Lancelot se sentit foudroyé, comme si le ciel venait de lui tomber sur la
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