L'ange de la mort
forgerons, mais aujourd’hui tout était désert, car c’est ce qu’avait désiré le prêtre. Certain qu’il n’y avait pas de danger, Fitzwarren, suivi de ses compagnons, descendit la pente neigeuse. Évitant la porte principale, ils contournèrent furtivement, comme des chiens, la courtine d’enceinte jusqu’à une petite poterne. Celle-ci était ouverte, comme à l’accoutumée. Ils se glissèrent dans la cour, transformée en un véritable bourbier. Fitzwarren examina soigneusement quelques traces, mais ne vit rien de suspect. L’écurie, l’étable et la grange étaient vides, et le feu de la forge éteint depuis longtemps. Il leva les yeux et aperçut à l’étage une courtepointe rouge enfoncée dans une meurtrière, le signal indiquant que la voie était libre. Ils s’avancèrent jusqu’à la porte d’entrée et frappèrent en toute confiance. Des pas résonnèrent dans le couloir et la porte s’ouvrit toute grande sur le régisseur, Thomas Bassingham, dont le maigre visage anxieux se fendit d’un sourire obséquieux et hésitant. Derrière lui, sa femme essuyait ses mains grassouillettes sur un tablier blanc.
— Bienvenue, Messire Fitzwarren, bredouilla-t-il.
Un rictus aux lèvres, Fitzwarren le repoussa et pénétra dans le manoir. Il traversa la grand-salle pour gagner la cuisine et la laiterie. Il n’y avait pas de feu, selon les instructions, mais au moins le régisseur avait-il eu le bon sens de disperser des chaufferettes dans la pièce et d’emplir de braises un brasero rouillé. L’épouse de Bassingham, terrifiée à la vue de ces mines patibulaires, leur servit en silence des viandes froides, du fromage et des pichets de bière éventée et coupée d’eau. Les hors-la-loi dévorèrent leur nourriture à grand bruit en lui ordonnant, par gestes, de les resservir. Lorsqu’ils furent rassasiés, Fitzwarren, assis au haut bout, dans la grande chaise en chêne, s’étira, rota bruyamment et abattit ses mains sur la table.
— Eh bien, Maître Bassingham, s’exclama-t-il, avez-vous des nouvelles de votre maître ?
Le régisseur avait l’air harassé. Fitzwarren le dévisagea plus attentivement. Il remarqua les rides nées de l’anxiété, les yeux cernés, les joues mal rasées.
— Il y a quelque chose qui ne va pas, hein ? lança-t-il d’un ton menaçant.
Bassingham fit signe que oui.
— Je suis revenu de la ville aussi vite que j’ai pu, bêla-t-il. Je n’ai pas arrêté de voyager. Les chemins sont quasiment impraticables. Mon cheval...
— Ton cheval... ?
— Je ne l’ai pas amené jusqu’ici, acheva le régisseur d’une voix douce. La neige est si épaisse ! Ma femme, elle, me croyait mort !
— Elle aura le temps de le souhaiter plus d’une fois si les nouvelles que tu m’apportes ne sont pas bonnes !
— Ce n’est pas de ma faute, s’écria Bassingham d’une voix suraiguë. Ce n’est pas de ma faute si le prêtre est mort.
Fitzwarren bondit. Son interlocuteur eut un mouvement de recul en lisant la haine dans ses yeux.
— Il est quoi ?
— Il est mort. Il s’est écroulé pendant la messe.
— Et tu n’as donc rien rapporté ?
— Comment l’aurais-je pu ? Comment l’aurais-je pu ? On a apposé les scellés sur sa maison de Londres. Elle est entourée de gardes royaux et le roi lui-même est fou de rage. Que pouvais-je faire ? gémit-il.
En deux enjambées, Fitzwarren fut sur lui, l’attrapa par son surcot sale et le souleva de terre.
— Tu aurais pu m’apporter l’or que ton maître me doit, siffla Fitzwarren, une grimace hideuse aux lèvres, les yeux étincelants.
— C’était impossible, expliqua avec appréhension Bassingham, qui regrettait à présent d’être revenu.
Il aurait dû rester à Londres, s’enfuir. Il jeta un coup d’oeil en biais. Le problème, c’était que sa femme à la noire chevelure frisée, à la mine avenante, sa belle Katherine, serait morte de chagrin, loin de lui. Fitzwarren suivit la direction de son regard et eut un sourire mauvais.
— Mes hommes, déclara-t-il, mes hommes ont vécu trop longtemps dans la forêt. Il ne serait pas juste de ne rien leur offrir.
Il se tourna vers ses compagnons avachis autour de la table et grimaça un sourire :
— Attachez ce gredin !
Il lâcha Bassingham comme une poupée de chiffon, puis s’approcha de la table et, d’un revers de main, la débarrassa des couverts.
— On va s’amuser, et lui pourra nous
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