L'ange de la mort
château ou d’un manoir fortifié. La chance néanmoins semblait lui sourire à nouveau. Autrefois, quand il attaquait un voyageur, un convoi ou une ferme, il ne pouvait s’emparer que du strict minimum – provisions, armes, vêtements – et profiter des charmes de ses prisonnières. C’est ainsi qu’il avait vécu, comme un animal, au jour le jour, jusqu’au moment où il avait rencontré le prêtre et où avait commencé pour lui une nouvelle aventure. Il lui suffisait à présent de faire main basse sur des biens précieux et de les apporter à Londres où le prêtre les revendait. C’était une relation des plus bénéfiques qu’entretenait Fitzwarren de toute la force de sa cupidité et de sa roublardise. Lorsqu’il aurait amassé assez d’argent, qu’allait-il faire ? Acheter son pardon, peut-être ? Revenir dans le giron de la société ? Rejoindre le troupeau qu’il avait si souvent dépouillé ?
Ce matin-là, pourtant, il était fou de rage et la fureur l’avait poussé à quitter l’abri de la forêt avec ses cinq compagnons les plus proches. Ils avaient suivi l’orée du bois autant que faire se peut, mais pour approcher du manoir de Cathall, près du village de Leighton, ils allaient devoir s’aventurer à découvert. Suivant les instructions strictes de Fitzwarren, ils s’étaient bien armés, en particulier d’arbalètes et de carquois remplis de carreaux redoutables.
En arrivant au croisement, Fitzwarren les renvoya sous le couvert et expédia le plus jeune en reconnaissance. Tel un renard en chasse, le brigand s’avança à pas comptés, l’oreille aux aguets, gêné momentanément par l’éclat aveuglant de la neige. Il guettait la moindre tache de couleur, le moindre détail qui l’avertirait de ne pas aller plus loin. Comme les autres, il avait peur de Fitzwarren. Leur chef ne tolérait pas l’échec. Ceux qui s’opposaient à lui ou échouaient dans une mission ne devaient s’attendre à aucune pitié. Le jeune homme ressentait déjà quelque nervosité à quitter l’abri de cette forêt où il passait le plus clair de son temps, protégé par la pénombre et l’absence de sentiers ; les poursuivants s’y égaraient facilement, disparaissaient à jamais, enlisés dans les marécages ou les fondrières. Fitzwarren, lui, connaissait les sentiers secrets et s’y tenait. Aussi le jeune homme était-il bien conscient que, pour que leur chef les emmenât hors de la forêt et si loin à découvert, il fallait que leur mission fût de la plus haute importance.
Le brigand s’approcha furtivement du croisement. Celui-ci était désert et le sentier continuait à la lisière. Il ne vit ni n’entendit rien de suspect. Il regarda la potence à trois bras dont la noire silhouette se détachait sur le ciel bleu clair. Trois corps s’y balançaient, chargés de chaînes, châtiment réservé à ceux qui s’étaient rendus coupables de vol doublé d’assassinat. Le jeune homme grimaça, dévoilant une rangée de dents jaunes qui noircissaient. Il connaissait ces trois hommes. Ils avaient fait partie de la bande de Fitzwarren, mais avaient désobéi à ses ordres, aussi Fitzwarren les avait-il remis aux baillis du shérif de Chelmsford en empochant la récompense. Les bandits avaient été pendus un soir de l’été précédent et leurs corps se balançaient, décomposés depuis belle lurette, les yeux « cavés » par les corbeaux affamés. Seuls leurs os blanchis gémissaient doucement dans leurs fers et s’entrechoquaient comme pour protester contre la présence du délateur. S’étant assuré de l’absence de tout danger, le jeune hors-la-loi fit un geste de la main et fut vite rejoint par son chef et ses compagnons.
La bande marcha ensuite à la queue leu leu sur le sentier de la lisière qui menait au sommet de la colline. Là elle s’arrêta et Fitzwarren observa le manoir désert, son énorme mur d’enceinte et sa porte barrée. Il parcourut les alentours du regard. Aucun signe, aucun mouvement : l’endroit était vide. Les seules traces d’habitation étaient de fins panaches de fumée qui s’élevaient à l’horizon, là où, dans les villages environnants, on avait mis les marmites sur le feu. Il attendit un moment ; il jouissait d’un point de vue parfait sur le manoir. Le corps de logis formait une cour avec les communs bâtis en parallèle. En temps normal il y aurait eu un va-et-vient incessant de palefreniers, de garçons d’écurie et de
Weitere Kostenlose Bücher