L'ange de la mort
clergé.
Lorsqu’il vit que Hervey était prêt, Corbett commença :
— Révérends pères, je vous suis reconnaissant d’avoir accédé à ma requête qui est celle, également, de notre souverain, et d’avoir accepté de me rencontrer dans ce chapitre pour faire le point sur la tragédie de cette semaine. Je me permets de vous rappeler les faits : une messe eut lieu lundi dernier, célébrée par votre frère bien-aimé Walter de Montfort, doyen de cette cathédrale. Peu avant la communion, il s’effondra et sa mort fut instantanée. On emporta son corps dans la sacristie et on lui administra l’extrême-onction. J’ai examiné sa dépouille et m’empresse d’ajouter, dit Corbett en levant la main, que, sans être médecin, j’ai la ferme conviction qu’il a été empoisonné. Je crois également, poursuivit-il en mesurant prudemment ses propos, que l’on a administré ce poison pendant l’office divin lui-même.
Il entendit les exclamations étouffées et les murmures de « Sacrilège ! ». Il leva de nouveau la main :
— Ce n’est qu’une théorie. Pour vous en convaincre, je vais vous exposer ce que je sais.
Il leur fit alors le même compte rendu qu’au roi ; il évoqua les traits figés de Montfort, sa bouche et sa langue noircies, la soudaineté de sa mort, tous les symptômes de l’empoisonnement. Il se référa au père Thomas que la plupart d’entre eux devaient avoir connu, et qui lui avait confirmé que tous les poisons violents agissaient instantanément.
— La question est la suivante, déclara-t-il en conclusion : qui l’a assassiné et pourquoi ?
Comme il s’y attendait, Sir Philip Plumpton fut le premier à réagir.
— Comment savoir, demanda-t-il sur un ton de défi, surtout depuis que je vous ai donné cette gourde de vin, si notre frère tant regretté n’a pas été empoisonné par le roi, ou, ajouta-t-il avec un regard lourd de sous-entendus, par un des favoris du roi ?
Corbett ne releva pas la remarque, assimilable à de la haute trahison.
— Je vais m’en référer encore au père Thomas de St Barthélémy, rétorqua-t-il. Il vous certifiera que si Montfort avait bu le vin envoyé par le roi, vin que quelqu’un d’autre a empoisonné, il n’aurait pas eu le temps de vivre jusqu’à l’Introït. Bien sûr...
Corbett choisit soigneusement ses mots pour refermer le piège.
— ... si l’un d’entre vous l’a vu boire du vin et ne pas jeûner avant la célébration d’une cérémonie aussi solennelle, au mépris de la règle canonique, qu’il me le dise immédiatement !
Il n’eut pour toute réponse qu’une désapprobation silencieuse et des frottements de pieds.
— Bien, reprit-il d’une voix coupante, poursuivons !
Il désigna Hervey.
— Je vous présente Messire William Hervey de la Chancellerie qui transcrira mes questions et vos réponses. Je vous prierais à présent de m’indiquer vos noms et les fonctions que vous occupez.
Les chanoines se présentèrent, en commençant par celui qui était assis à sa gauche.
— Sir John de Eveden, bibliothécaire.
Teint cireux, maigre, traits émaciés, touffes de cheveux blancs sur le crâne. Corbett remarqua la bouche molle et le regard oblique qui refusa de croiser le sien.
— David of Ettrick, aumônier.
Petite taille, visage rougeaud, complètement chauve, des doigts boudinés qui papillonnèrent en l’air lorsqu’il se présenta. Léger accent écossais.
— Robert de Luce.
Visage glabre, cheveux, mains et doigts très soignés, air ascétique et méticuleux, remplissant sans doute bien sa charge de trésorier.
— Stephen Blaskett.
Jeune, visage ouvert, yeux vifs, doigts maculés des mêmes taches que ceux de Hervey. Avant même qu’il le précisât, Corbett avait deviné qu’il occupait les fonctions de clerc principal et de secrétaire de la cathédrale.
Et finalement Philip Plumpton, sacristain. Visage poupin, manières charmantes. « Le plus dangereux », pensa Corbett, car si les lèvres étaient souriantes, les yeux avaient le dur éclat de l’agate. Quelqu’un de coriace, estima le clerc, un homme qu’il ne faisait pas bon contrecarrer.
Quand ils se furent présentés sans chercher à dissimuler la profonde irritation que leur causaient ces questions et sa présence, Corbett prit du parchemin, approcha un candélabre d’argent et dessina un arc de cercle.
— Admettons que ce soit l’autel. Voudriez-vous m’indiquer où vous vous
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