L'ange de la mort
vous m’avez fait très rapidement remarquer que la gourde envoyée par le roi avait été empoisonnée. Comment le saviez-vous ?
Corbett vit s’effacer le sourire de Plumpton.
— Je... bredouilla-t-il.
— Oui, mon père ?
— Il y a un petit vestiaire derrière la sacristie. Vous l’avez peut-être aperçu. Après que le corps a été transporté dans la sacristie, je suis entré dans ce vestiaire. La gourde s’y trouvait, bouchée, le gobelet à côté. Je l’ai débouchée. L’odeur m’a paru suspecte. Vous êtes entré ensuite examiner la dépouille ; je vous ai imité. J’ai senti cette même odeur de poison sur les lèvres décomposées de Montfort. J’en ai donc conclu que quelqu’un avait envoyé du vin empoisonné au doyen avant le début de la messe.
— Est-ce vous qui aviez déposé la gourde là ?
— Absolument pas !
— Comment avez-vous pu penser qu’un prêtre connaissant la règle canonique avait osé boire du vin et ainsi rompre son jeûne ?
Plumpton haussa les épaules.
— Ce n’était sûrement pas la première fois que Montfort aurait enfreint les règles.
— Lesquelles, plus précisément ? Je crois vous l’avoir déjà demandé.
— Je suis incapable de vous le dire, s’écria Plumpton. C’était quelqu’un de très, très secret. Moi, je suis simplement le sacristain. Peut-être d’autres pourraient-ils mieux vous renseigner ?
— Comment saviez-vous, insista Corbett, que c’était Montfort qui avait bu du vin de cette gourde ?
— J’ai simplement aperçu cette gourde et le gobelet, à côté. Je vous ai vu procéder à l’examen du cadavre, et en particulier, renifler ses lèvres. J’ai fait comme vous, puis je suis revenu examiner la gourde. C’est alors que j’ai su que c’était une affaire d’empoisonnement.
— Mais ce n’est pas vous qui aviez déposé la gourde ?
— Non !
— Alors qui ?
— Je l’ignore !
— Je vous remercie, mon père !
Plumpton parti, Corbett se retourna vers ses deux compagnons. Hervey, courbé sur son parchemin, s’affairait à le remplir de petites lettres bien tracées à l’encre bleu-vert. Ranulf restait immobile, la mine stupéfaite ; cet interrogatoire de puissants ecclésiastiques lui coupait le souffle plus que n’importe quel miracle ou pantomime joué dans une rue de Londres. Corbett se pencha et referma doucement la bouche grande ouverte de son serviteur.
— Ranulf, tu ne t’es jamais tenu aussi tranquille !
— Maître, protesta rapidement Ranulf en se ressaisissant, nous entendons parler, dans les rues de la Cité, de ces ecclésiastiques riches et bien nourris. Nous les voyons se pavaner partout comme des seigneurs. Ils ont leurs propres cours, leur propre trésor. Ils vivent à part et ont des droits et des privilèges spéciaux.
Il leva vers Corbett un visage radouci :
— Je n’ai jamais vu quelqu’un leur faire subir un tel interrogatoire !
Corbett lui rendit son sourire.
— Eh bien, je me félicite d’avoir rendu quelqu’un heureux aujourd’hui.
Il jeta un coup d’oeil à Hervey, mais ce dernier était perdu dans ses écritures, sourd au monde qui l’entourait.
— William ! appela Corbett.
Le petit secrétaire leva les yeux de son parchemin.
— Avez-vous fidèlement copié ce que vous avez entendu ?
Hervey le rassura d’un vigoureux signe de tête.
— Bien. Ranulf, va dire à Messire Ettrick que nous l’attendons.
Ranulf bondit sur ses pieds et disparut pour revenir presque immédiatement, suivi du chanoine écossais. Celui-ci, l’air plutôt agressif, entra d’une démarche qui évoquait plus le camp militaire que la clôture d’une cathédrale.
— Veuillez prendre place, mon père !
— Merci.
— Vous êtes écossais, n’est-ce pas ?
— Oui, je vous l’ai déjà dit.
— Vous avez toujours été prêtre ?
— Non, j’ai été au service du roi, à la guerre.
— Dans quel ban ?
— Celui du comte de Surrey.
— Était-ce un de vos parents ?
— Non ! répondit Ettrick d’un ton coupant. Mais lors des premières campagnes du roi Édouard en Écosse, je me suis rendu utile au souverain et surtout au comte.
Corbett fît signe qu’il comprenait. Il savait ce que signifiait « se rendre utile ». Il en avait rencontré de ces hommes en Écosse et au pays de Galles qui étaient passés du côté de l’envahisseur en lui fournissant renseignements et missives secrètes, et en lui
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