L'ange de la mort
et encensa le cercueil avant que six solides gaillards ne l’emportent vers le cimetière, précédés par les bedeaux et par trois servants qui brandissaient les bannières de la Sainte Vierge, de saint Georges et de Saint Paul. Derrière venait Plumpton, suivi par les autres chanoines et les enfants de choeur, vêtus d’aubes et tenant de petits cierges à la main. Le cercueil était entouré de porteurs de torches, au nombre de cinquante-six, chacun représentant une année de la vie du défunt. Derrière le cercueil, dissimulé à présent sous de précieux tissus d’or, un groupe de femmes en grand deuil, au voile de dentelle noire, sanglotait bruyamment. Corbett n’eut pour ces pleureuses professionnelles qu’un regard de dédain : il n’avait que faire de ceux qui profitaient des morts. Il vit la longue et douloureuse procession quitter la cathédrale et se diriger, en serpentant, vers le fond du cimetière, là où un monticule de terre fraîchement creusé indiquait la dernière demeure de Montfort.
Il resta près du portail, percevant à peine les marmonnements de Plumpton qui, une nouvelle fois, implorait Dieu de recueillir en son sein son serviteur bien-aimé, Walter de Montfort. Le cercueil fut descendu dans la fosse. Corbett entendit résonner les poignées de terre que l’on jetait sur le couvercle de bois et l’assistance endeuillée revint dans la cathédrale. Corbett perçut le soulagement ambiant : tout était fini. Le portail se referma. Le bruit des pelles des fossoyeurs achevant leur travail parvint faiblement aux oreilles du clerc. Après un laps de temps respectable, Corbett traversa le choeur en s’agenouillant devant la veilleuse du tabernacle, et entra dans la sacristie. Plumpton était en train d’ôter amict {26} , aube et étole, tous ces vêtements liturgiques qui semblaient nécessaires aux prêtres pour pouvoir s’adresser à Dieu. Le chanoine avait senti la présence de Corbett, mais celui-ci dut attendre que Plumpton eût enlevé ses habits de messe et se décidât à le saluer.
— Messire Corbett, je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un plaisir de vous revoir.
— Mon père, répliqua jovialement Corbett, je suis chargé de mission par le roi.
En toute autre occasion, Plumpton n’aurait pas réprimé un gémissement de protestation, car il avait fini par haïr ce fouineur de clerc, aux traits durs et aux yeux de chat, qui ne laissait pas les morts en paix et ne cessait de le harceler de questions.
— De quoi s’agit-il ? s’enquit-il sèchement.
— Au nom du roi, j’aimerais que vous et les quatre autres célébrants de cette messe fatidique me rejoigniez dans le sanctuaire.
— Comment cela ? s’écria Plumpton en reculant, les yeux plissés sous la stupéfaction. Pourquoi ne pas laisser cette terrible affaire tranquille ?
— Pourquoi ne pas poser cette question à notre souverain ? Vous en aurez l’occasion si vous refusez.
Plumpton tourna les talons en soupirant et sortit d’un pas lourd. Corbett embrassa la pièce du regard : armoires, énormes coffres en cuir renforcés de ferrures, tous bien verrouillés, certains avec trois ou quatre serrures, caisses remplies de bougies de diverses teintes selon leur degré de pureté, boîtes de veilleuses, de cierges, tonnelets d’encens... il n’y avait là rien qui offrît le moindre intérêt. Il s’approcha d’une grande armoire que Plumpton n’avait pas refermée à clé et l’ouvrit : des vêtements liturgiques y étaient rangés, leurs différentes couleurs correspondant aux différents temps liturgiques. Au fond, à gauche, il vit les chasubles portées pendant la fameuse messe et les soumit à un examen approfondi. Une tache sur l’une d’elles attira son attention. Le souffle court sous l’effet de la surexcitation, il referma l’armoire en entendant des bruits de pas dans le couloir. Plumpton, accompagné des autres chanoines, entra en coup de vent. Ils étaient tous fort courroucés d’avoir été arrachés à leurs diverses occupations pour faire les quatre volontés de ce petit clerc. Corbett devinait leurs pensées et percevait leur rancoeur. Seuls Blaskett et Luce paraissaient calmes.
Corbett attendit un instant avant de prendre la parole.
— Mon père, dit-il en s’adressant au sacristain, je vous en prie...
Il s’effaça pour laisser passer Plumpton qui gravit les marches du choeur, les autres chanoines sur ses talons, jusqu’à ce qu’ils fussent
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