L'ange de la mort
chanoines, se félicitant de les voir moins arrogants en quittant la sacristie qu’en y entrant. Peu après, Plumpton revint, suivi de trois serviteurs ahanant sous le poids d’un énorme coffre en cuir que Corbett leur ordonna, d’un geste, de hisser sur la table, ce qu’ils firent avant de se retirer. Corbett l’ouvrit.
— Ce sont là les papiers personnels de Montfort ?
— Ses biens meubles, affirma Plumpton, utilisant le terme légal. C’est tout ce qu’il possédait, à part les vêtements que vous avez vus. Il y a là des livres, ses papiers et des objets précieux.
— Très bien. Pourriez-vous faire allumer plus de bougies, apporter un brasero et peut-être un peu de vin ? Je vais passer au crible le contenu du coffre, et ensuite je vous le rendrai.
Et sans attendre de réponse, Corbett se mit en devoir de vider le vaste meuble.
Après trois heures de recherches, il en vint à la conclusion qu’il ne contenait rien de bien important. A part un volumineux livre de comptes, il n’y avait pas grand-chose : des bouts de parchemin annotés, des chapelets, un crucifix brisé et des documents consistant en traités et comptes rendus sans intérêt. Corbett convoqua Plumpton et l’informa que sa tâche était achevée, mais qu’il emporterait chez lui le livre de comptes pour l’étudier plus à loisir. Sir Philip éleva de vives protestations, mais Corbett lui rappela qu’il tenait sa mission du roi et que toutes objections et revendications éventuelles devaient être adressées, non au messager du souverain, mais au roi Édouard en personne, à Westminster. L’air plus conciliant, Plumpton ordonna aux serviteurs de tout remettre dans le coffre et sortit dignement de la sacristie. Corbett allait l’imiter lorsqu’il entendit timidement frapper à la porte.
— Entrez !
La porte s’ouvrit sur John de Eveden. Avec l’air contrit d’un gamin venu présenter des excuses, le bibliothécaire alla s’asseoir sur un tabouret près du seuil, mains croisées sur les genoux. Corbett, debout, s’emmitouflait dans sa cape en jouant avec le fermail.
— Vous désirez me parler, mon père ?
Le chanoine répondit que oui.
— Que se passe-t-il ? Vous ressemblez à une servante qui vient se confesser.
— Je ne suis pas une servante, rétorqua sarcastiquement Eveden, mais j’ai quelque chose à confesser.
— Allez-y.
— Je n’ai pas bu le vin consacré.
— Que voulez-vous dire ?
— Que je n’ai pas bu quand on me passa le calice.
Corbett s’approcha de lui et le fixa d’un air interrogateur :
— Pourquoi ?
Le bibliothécaire haussa les épaules :
— Vous, laïcs, ne savez pas ce qu’est la vie d’un prêtre. Vous nous jugez sans cesse, vous nous mettez sur un piédestal comme des spécimens parfaits d’humanité, mais vous nous attaquez sans merci quand nous ne le sommes pas. C’est mon cas. Ma faiblesse, c’est, ou plutôt c’était, le jus de la treille, le vin. Je passais, autrefois, des journées et de longues nuits à boire, verre après verre. C’était mon seul vice. Une nuit, j’ai fait le serment de ne plus boire après m’être retrouvé ivre, dans des circonstances que je ne décrirai pas. Je me suis traîné comme un enfant au pied de l’autel et j’ai juré de ne plus jamais absorber de vin, consacré ou non. C’est tout ce que vous devez savoir.
Il eut un geste las.
— Je n’ai pas bu le vin consacré qu’a bu Montfort.
Corbett le dévisagea. Il sentait au fond de son coeur que le bibliothécaire disait la vérité, mais il se demanda quelle raison l’incitait à agir ainsi et pourquoi maintenant.
— Dites-moi, mon père, lorsque Montfort s’est effondré, que s’est-il passé ?
— Nous l’entourions. Je ne comprenais pas ce qui arrivait, et mes frères non plus.
Eveden se passa la main sur les yeux :
— Tout n’était que confusion et chaos. Je ne me souviens de rien. Les gens ne savaient plus où donner de la tête.
— Avez-vous vu quelqu’un s’approcher de l’autel ?
— Non.
— Rien de suspect ?
— Non, répéta fermement le bibliothécaire.
— En ce qui concerne les commérages échangés par vos compagnons... Ont-ils aperçu quelque chose d’étrange ?
Eveden lança un regard perçant au clerc.
— Non, je jure n’avoir rien entendu qui sorte de l’ordinaire ou puisse donner lieu à des soupçons.
— Dites-moi, reprit Corbett, quels étaient les vêtements que vous portiez
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