L'ange de la mort
tous rassemblés devant l’autel. Corbett, qui s’était emparé d’un simple gobelet d’étain laissé dans la sacristie, pria les chanoines de reprendre exactement les places qui étaient les leurs lors de la messe fatidique, tandis que lui assumerait le rôle de Montfort. Il leur demanda ensuite de répéter le rituel de la communion. Le gobelet fut d’abord remis sur sa droite, à Eveden et Ettrick, puis ce dernier le fit passer aux autres jusqu’à Blaskett, qui le tendit à Luce et à Plumpton qui le redonna à Corbett. Le clerc remarqua un détail, pourtant. Ranulf avait eu raison : cachés par les autres officiants, Eveden ou Plumpton auraient pu verser du poison sans être vus, bien que subsistât le risque d’alerter Montfort. De plus, si Plumpton ou Eveden avaient été coupables, ils se seraient remarqués mutuellement. Est-ce que les deux auraient conspiré ensemble ? Corbett rejeta cette idée trop invraisemblable : ils se détestaient cordialement, il n’existait entre eux ni connivence ni camaraderie. Corbett allait les remercier et les congédier quand soudain une voix s’éleva derrière lui :
— Et l’Ange du Seigneur s’abattit sur l’autel et le purifia de son glaive !
Corbett fit volte-face et observa l’endroit où vivait le reclus. Par la fente, il discerna ses yeux étincelants qui le foudroyaient. Corbett descendit les marches.
— Que voulez-vous, homme de Dieu ? Qui est l’Ange de Dieu ?
— Mais toi, bien sûr ! s’écria le reclus à haute et claire voix. C’est toi l’émissaire que Dieu a envoyé rendre justice et, sinon Dieu, du moins le roi !
— Alors, vous qui êtes si clairvoyant, rétorqua Corbett d’une voix moqueuse, prêt à faire demi-tour et à rejoindre les chanoines, pourquoi n’avez-vous pas vu celui qui a assassiné Montfort ?
— Je vois ce que tu as accompli, reprit la voix. J’ai réfléchi à la contradiction à laquelle tu te heurtes.
— Et quelle est la solution ?
— C’est simple. Tu te demandes comment les autres ont pu boire le vin consacré après Montfort, alors qu’eux sont en vie et que lui est mort. C’est exact ?
Corbett acquiesça, les yeux rivés sur son interlocuteur.
— Mais ils ne te l’ont pas dit ! Demande-leur !
— Leur demander quoi ?
— Demande-leur combien de fois Montfort a bu au calice. Rappelle-leur la règle canonique. Avant que le calice soit offert en symbole de paix, le célébrant boit toujours une seconde fois. La première fois, il communie, la seconde, il symbolise le baiser de paix. Pourquoi ne pas leur demander ?
Corbett se retourna d’un bond et regarda les chanoines. Ils n’avaient pas besoin de répondre, la réponse se lisait sur leurs visages.
— Révérends pères, s’écria-t-il, vous feriez mieux d’aller m’attendre dans la sacristie.
Ils s’éloignèrent, cette fois aussi obéissants et doux que des agneaux.
Corbett s’approcha du refuge du reclus.
— Dites-moi, saint homme, qu’avez-vous vu ? Y a-t-il autre chose que je devrais savoir ? Qu’est-il arrivé quand Montfort s’est effondré ?
Le reclus se contenta de ricaner tranquillement.
— Dites-le-moi ! insista Corbett.
— Je n’ai rien vu, expliqua lentement l’ermite. Lorsque Montfort est tombé, je suis, moi aussi, tombé à genoux dans cette cellule pour prier Dieu d’avoir pitié de son âme pécheresse. C’est toute l’aide que je peux t’apporter. Et un conseil aussi : prends garde à toi, ces chanoines veulent ta mort.
CHAPITRE XI
Courroucé et secrètement inquiet, Corbett remercia le reclus à voix basse et regagna la sacristie à longues enjambées. Les chanoines, l’air penaud comme des garnements pris en faute, n’osaient pas le regarder en face.
— Il semblerait, s’exclama-t-il, que nous ayons un point de détail à éclaircir.
Il fourragea sous sa cape, dégaina son épée et la tint par le pommeau.
— Je jure, poursuivit-il, qu’à moins que vous ne me disiez la vérité sur ce que vous avez vu, senti ou entendu près de ce maître-autel lors de la mort de Montfort, je jure, par la Croix du Christ, que je vous envoie à la Tour avant le coucher du soleil !
Il les dévisagea l’un après l’autre avec colère, puis rengaina son arme et s’appuya contre le coin de la table, bras croisés. Plumpton s’avança, s’humectant nerveusement les lèvres.
— Le reclus a dit vrai, concéda-t-il. Il doit avoir observé toute la scène,
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