L'Anneau d'Atlantide
d’Adalbert, et même obtenir que les autorités mettent un terme à ce simulacre de proconsulat délirant exercé par lui sur les gens d’Assouan, que Sargent avait pris la route de la capitale ?
Les trois femmes – et Morosini au moment des repas – formaient une manière d’îlot distant au milieu de l’espèce de maelström qui s’était emparé du vénérable hôtel, avec le débarquement d’une équipe de cinéastes hollywoodiens aussi bruyants que mal élevés. La romancière anglaise venait de plier bagage, terrifiée par le vacarme qu’ils entretenaient quasiment jour et nuit et contre lequel le directeur et Garrett luttaient comme ils pouvaient. Les envahisseurs étaient là pour quinze jours et entendaient en profiter pleinement. Au moins, la nuit ! Tant que brillait le soleil, ils rejoignaient dans le désert leurs équipes techniques répandues dans les hôtels de moindre catégorie de la ville. Mais le soir venu, les « têtes » du film – producteur, metteur en scène, jolies femmes au luxe tapageur, jeune premier à l’œil de velours, moins jeune à l’air important, etc. – prenaient possession des salons, bar, salle à manger en faisant un tel bruit qu’ils donnaient l’impression d’être au moins deux cents.
— J’espère que tu n’as pas de clients parmi ces gens ? demanda Tante Amélie à Aldo. Il ne nous manquerait plus que cela !
— Rassurez-vous ! Si j’ai des clients américains, ils sont exclusivement côte Est. De toute façon, ceux-ci n’appartiennent pas au gratin californien. Aucun nom connu ! Je suppose qu’il s’agit d’un richissime roi du Celluloïd ou des Corn Flakes qui veut voir sa maîtresse briller au firmament des stars et concocte un film d’« atmosphère » dans ce but…
— Ce doit être le gros type avec son casque colonial et ses chemises à fleurs qui parle si haut ? Mais il y a deux femmes avec lui. Alors, la blonde ou la brune ?
— Pourquoi pas les deux ? En tout cas, ils présentent un avantage : ils fascinent Keitoun qui, du coup, oublie de nous surveiller…
— Je ne m’y fierais pas trop, si j’étais toi…
La recommandation était superflue ! Il y avait beau temps que l’homme aux pistaches n’amusait plus Aldo.
En attendant, le soir du second jour, les trois dames, laissant les clients « survivants » du Cataract subir le tintamarre du dîner à la salle à manger – parfois peut-être s’en distraire ? –, choisirent de se faire servir chez M me de Sommières sur l’agréable terrasse qui prolongeait sa chambre et dominait le Nil et les îles. Pour les laisser entre elles, Aldo s’en alla dîner dans un petit restaurant de la Corniche, tranquille et bien tenu, où la cuisine locale était excellente. Il eut la surprise d’y rencontrer une bonne dizaine de clients du Cataract avec lesquels il échangea quelques sourires complices. Apparemment il n’était pas le seul à souhaiter manger en paix…
En rentrant, il aurait aimé aller au bar boire un verre mais l’écho nasillard des maudites voix yankees s’y faisait entendre et il se contenta de s’asseoir dans le jardin en fumant un cigare et en regardant les étoiles. Dire qu’il redoutait ce qui pourrait se passer le lendemain était un euphémisme. Il savait Assouari capable de tout et aussi qu’il pouvait absolument tout se permettre dans ce coin de Haute-Égypte où ce qui disposait d’un peu de pouvoir lui était inféodé. Quelle défense pourrait-on lui opposer ? Rien ou si peu… Et il y avait ce côté, absurde et d’un âge révolu, dont il parait ses exigences : si Adalbert ne lui apportait pas l’Anneau, il éliminerait celle qu’il considérait comme sa propriété et pour laquelle il n’avait pas hésité à faire abattre l’homme qu’elle avait osé aimer. Pourquoi aussi ce mystère, gardé jusqu’à la dernière minute sans doute, sur le lieu où l’Anneau devrait lui être livré ? Outre son palais bourré de serviteurs quasi prosternés, il disposait d’une forteresse inexpugnable, à moins de lui opposer des armes de guerre lourdes, canon ou char d’assaut. Il était plus que probable qu’Adalbert devrait se présenter devant ladite forteresse. Et après ? Que se passerait-il après ? On lui dirait « merci » et « au revoir, Monsieur »… ? C’était difficile à croire. Pourquoi
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