L'Anneau d'Atlantide
m’excuser ! lança-t-elle par-dessus son épaule, mais il l’avait déjà reconnue à sa crinière jaune dépassant les bords de son canotier de paille garni de marguerites :
— Marie-Angéline ? souffla-t-il, stupéfait. Vous êtes ici…
Elle ne se détourna qu’à peine, se contentant d’un coup d’œil rapide :
— Tiens, Adalbert !
Et poursuivit son chemin comme si de rien n’était et sans remarquer non plus Aldo. Ils la virent rejoindre un jeune Arabe qui l’attendait dehors, chargé d’un matériel de peintre, et se diriger avec lui vers le fleuve.
— Ça alors ! émit Aldo. Qu’est-ce qu’on lui a fait ?
— Aucune idée. Moi, elle s’est contentée de m’écraser le pied ! Mais elle ne doit pas être venue seule…
Un même élan les précipita à la réception :
— Je viens de voir M lle du Plan-Crépin, dit Aldo. Je suppose que M me la marquise de Sommières est dans vos murs ?
— En effet, Excellence. À cette heure-ci, elle doit être sur la terrasse. Dois-je vous faire annoncer ?
— Merci. C’est inutile !
Il se sentait tout à coup incroyablement heureux ! Tante Amélie à Assouan, c’était bien la meilleure des nouvelles ! Tous deux se ruèrent sur la grande terrasse ombragée où la vieille dame somnolait avec une extrême dignité dans un haut fauteuil d’osier peint en rouge, sur lequel ressortait le blanc immaculé de sa robe de piqué à la mode de la reine Alexandra et le plateau de paille blanche à demi recouvert de feuillage en soie de plusieurs tons de vert mêlé de minces rubans blancs. Ce chef-d’œuvre reposait sur le coussin de cheveux argentés, parmi lesquels une ou deux mèches rousses trahissaient la couleur d’origine. Avec son col de dentelle baleinée supportant une collection de sautoirs d’or, de perles et de menues pierres précieuses au milieu desquels se perdait son face-à-main serti d’émeraudes, elle était merveilleusement anachronique et cependant entièrement en phase avec le décor victorien qui l’entourait, et personne n’aurait eu l’idée de sourire en la voyant tant elle incarnait l’élégance et la dignité. En outre et bien qu’elle eût atteint les quatre-vingts ans, il lui restait plus d’une trace de sa beauté.
Quand Aldo prit délicatement pour les baiser ses mains baguées de perles, elle ouvrit largement ses yeux d’une joyeuse teinte verte :
— Vous êtes là tous les deux, les garçons ? Mais quelle incroyable chance !
— Tante Amélie, fit Aldo, c’est vous rencontrer ici qui est une chance. Vous ne pouvez pas savoir à quel point j’en suis heureux !
— Et moi donc ! renchérit Adalbert en écho. Ce qui est plus surprenant encore, c’est que nous venons de croiser Plan-Crépin qui non seulement n’a pas eu l’air surprise, mais nous a ignorés pour filer vers les quais en compagnie d’un gamin arabe. Qu’est-ce qu’on lui a fait ?
— Rien, rassurez-vous ! Simplement, depuis quelques jours elle donne l’impression de ne plus avoir les pieds sur terre.
— Vous êtes là depuis longtemps ?
— Une bonne semaine…
— Alors vous deviez vous trouver à la soirée du gouverneur, en déduisit Adalbert. Comment se fait-il que je ne vous aie pas vue ?
— Pour l’excellente raison que je n’y étais pas ! Je voyage pour mon plaisir, cher Adalbert, et pas pour courir les réceptions plus ou moins exotiques qui se donnent de par le monde. Notez qu’il y avait la voix de la Rinaldi que je pourrais écouter des nuits entières, mais je ne supporte pas de la voir. À vous, maintenant ! Ne devriez-vous pas être en train de plonger dans les entrailles de la terre d’Égypte, Adalbert… ou bien êtes-vous chargé d’une mission dans les alentours ?
— En fait, oui et non. Je me suis trouvé exproprié de mon dernier chantier de fouilles et, comme Aldo m’est tombé dessus à ce moment-là, j’ai voulu lui montrer un peu de ce pays que j’aime tant !
Les yeux verts s’ouvrirent plus grands encore :
— Et toi, Aldo, tu n’as rien d’autre à faire en plein hiver que de jouer les touristes ? Qu’est-ce qui t’a amené ici ? Où sont Lisa et les enfants ?
— Une question à la fois s’il vous plaît, engagea Aldo en riant. Et on commence par la dernière. Ma petite famille est à Vienne ou plutôt à Ischl pour surveiller la convalescence de
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