L'année du volcan
rigueur d’un ordre immuable.
— Comment étiez-vous réglé ?
— Comme c’est d’usage, j’adresse mon mémoire chaque fin d’année.
— Et vous êtes payé ?
Le petit homme soupira.
— Parfois, parfois… C’est d’une bonne réclame que de fournir des clients huppés…
— Que pouvez-vous me dire des doses ?
— Euh, euh ! Plus importantes que la normale… Oui, oui, beaucoup, beaucoup pour une seule personne.
— Vous n’en avez pas fait la remarque ?
— Parfaitement, parfaitement. J’ai souligné le danger de doses excessives auprès de la femme de chambre. Elle m’a rassuré disant que sa maîtresse était fort maladroite, qu’elle en brisait souvent, ce qui justifiait du nombre de fioles demandées, que d’autres membres de la maison en usaient à l’occasion et que la crainte de manquer s’ajoutait à celle de la casse !
Il fit un petit mouvement de la main saisi d’une pensée importune.
— Mais, monsieur le commissaire, ajouta-t-il la mine inquiète, quelle est la raison des questions que vous me faites ? Un accident serait-il advenu à l’Hôtel de Trabard en relation avec ces fournitures de liqueur ?
— Hélas, oui ! Apprenez que le vicomte de Trabard est mort assassiné, que la liqueur en question paraît avoir eu son rôle dans le déroulement funeste de l’événement.
— Mon Dieu ! Vais-je être inquiété ? Me croit-on responsable de cette tragédie ? Je suis un honnête homme.
M. Gerault se tenait le visage, écrasant de ses mains ses joues rebondies. Ce mouvement lui figurait une apparence étrange et si comique que Nicolas se retint, à deux doigts d’éclater de rire. C’est la voix entrecoupée de hoquets qu’il réussit avec peine à rassurer le praticien.
— On ne peut rien vous reprocher si ce n’est d’être par trop sensible au prestige d’une qualité et d’un grand nom. À l’avenir, exercez votre art avec davantage de précaution et de prudence.
Assis dans sa voiture, Nicolas réfléchissait à la suite d’une journée déjà bien entamée. Il aurait voulu se porter à Versailles pour rendre compte à la reine des deux enquêtes dont elle l’avait chargé. Deux arrière-pensées favorisaient ce projet : s’arrêter à Fausses-Reposes pour y voir Aimée d’Arranet et, aussi, interroger, s’il se trouvait dans ce pays-ci , le comte de Vaudreuil qu’il soupçonnait avoir été le visiteur mystérieux rue d’Enfer, la nuit de la mort du vicomte de Trabard. Il eut la tentation de rejoindre la rue Montmartre, de seller Sémillante et de piquer des deux. Il consulta sa montre à répétition, elle marquait déjà une heure de relevée. Le délai était trop court pour tenter l’aventure. Il décida donc de gagner la rue d’Enfer pour interroger une nouvelle fois Mme de Trabard et le maître-palefrenier, absents tous deux la veille.
Au cours du trajet, il s’interrogea sur l’opportunité d’aborder la question des fioles. S’il s’aventurait dans cette direction, il mettrait aussitôt en éveil ceux qu’il interrogerait. Que recherchait-il désormais ? L’apparente fuite de Diego Burgos lui semblait peu naturelle, non plus que la découverte des dites fioles dans son appartement. Non qu’il crût que le secrétaire fût exempt de tout soupçon, certaines mules de la victime habilement retrouvées au moment adéquat plaidaient le contraire, et le fait qu’il ait enlevé le vas-y-dire renforçait encore les présomptions contre lui. Restait qu’il n’avait pas tué l’enfant, ce qu’aurait accompli un criminel endurci. Comme souvent, il avancerait à l’aveuglette dans l’espoir que surgirait, d’un propos ou d’une attitude, l’étrange ou le discontinu qui éclairerait les perspectives. Il convenait toujours de maintenir une sorte de pression, une contrainte menaçante, dontles conséquences étaient souvent inattendues. Comme en physique agissent les forces contraires, dans le cas présent l’attaque et la résistance produiraient, espérait-il, un effet fécond.
À l’Hôtel de Trabard, la maîtresse des lieux dînait dans un des salons du rez-de-chaussée. Nicolas passa outre, en dépit des protestations de la soubrette et fit irruption, le tricorne tiré, devant la vicomtesse furieuse.
— Madame, je vous prie de pardonner cette intrusion que seule la nécessité de l’enquête justifie.
— Allez-vous encore longtemps m’entêter d’une présence qui m’est
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