L'année du volcan
reproches ! Des détails sans importance. Moi qui suis à Londres, je réponds seul de ce qui est utile.
— Vous souhaitez des faits précis ? Soit. Le ministre a été peiné que vous vous soyez abstenu de communiquer notre dernière démarche à Saint-Pétersbourg au cabinet anglais. Il vous rappelle qu’en règle générale, on ne risque rien à révéler un écrit qui, par sa nature, est destiné à devenir public.
L’agitation de l’ambassadeur était patente, une veine violacée lui battait la tempe 23 .
— Autre invite que M. de Vergennes m’a demandé de vous soumettre…
— Laquelle, laquelle ?
— Celle d’ouvrir votre maison le plus tôt que vous pourrez, car il est revenu au ministre quelques murmures sur l’indigence de votre représentation.
— Des envieux, des jaloux, des ragots de cour !
— Si vous ne pouvez rassembler nombreuse compagnie, restreignez-la. Des soupers de moindre importance vous donneraient autant de lumières que de trop grandes sociétés.
— C’est tout ?
— Ah ! Encore un détail qui n’est pas de moindre utilité. Le ministre n’a pas relevé dans votre correspondance mention de l’ambassadeur d’Espagne. Il espère que ce silence n’indique pas un défaut de communication entre vous et il importe infiniment qu’on ne puisse douter de son existence. Il souhaite donc que vous ne lui laissiez pas ignorer vos démarches.
— Vous en avez fini, monsieur le marquis ?
— Le ministre ne m’a point chargé d’autres sujets.
— Bien ! Sachez que si je devais répondre aux termes de cette communication, ce que je n’entends pas faire, notez-le, je dirais, si j’en ressentais la nécessité, notez-le bien, que je pourrais rectifier mon style pour le rendre plus grave, encore que la profondeur tient à la connaissance scrutée des événements. Or puis-je l’avoir ? Je suis ici depuis deux mois. Quant à ce que le ministre vous fait me mander au sujet du train de ma maison et de l’obligation de l’ouvrir, je me dois de préciser que je viens à peine d’y emménager. Vous avez pu constater le désordre qui y règne. Les meubles ne sont pas en place, ma vaisselle ne m’est point parvenue, ni même mon vin.
— Vous le direz au ministre.
— Permettez-moi à mon tour, puisque je ne peux douter en tous cas que le comte de Vergennes ait souhaité que je vous donne audience, de vous charger à son endroit de l’expression de mon attachement et de lui porter conseil de voir quelquefois Mme de Polignac dans cette conjoncture. Son appui peut lui être essentiellement indispensable. Il doit lui parler en toute confiance. Le moment est difficile et l’embarras des circonstances domine à Versailles, comme à Londres. L’aveu sincère de ses principes assurera au ministre le dédommagement des petites contrariétés du présent… Monsieur le marquis, je ne vous retiens pas, je crois que nous nous sommes tout dit 24 .
— Monsieur l’ambassadeur, je suis votre serviteur.
Nicolas sortit du bureau non sans avoir remarqué que le pied droit du comte d’Adhémar tremblait et battait la chamade sur le parquet. Il était assez satisfait de la manière dont il avait conduit cette délicateopération. L’essentiel avait été dit sans éclat excessif et l’intéressé ne pourrait pas ignorer le message. En dépit de ses protestations, il avait d’ailleurs tenté de répondre avec des arguments peut-être recevables, bien que spécieux. Mais ceux-ci correspondaient-ils à la vérité ? Il n’était pas dans son rôle d’en juger. En revanche il avait relevé et détesté le ton cauteleux avec lequel l’ambassadeur avait mis en avant Mme de Polignac et son influence. C’était la réponse du berger à la bergère. Le message était limpide sous le doucereux des paroles. « Prenez garde à vous, la favorite de la reine peut défaire un ministre . »
Nicolas se fit conduire à l’Amirauté où il déposa un pli à l’attention de lord Aschbury, puis donna ordre à son cocher de le promener dans Londres. Il fut à nouveau frappé par la curieuse occupation des rives de la Tamise. Alors que cette voie aurait pu offrir le spectacle d’une suite de palais ou de monuments, elle était essentiellement bordée par des ateliers de tanneurs, de teinturiers et des fabriques qui utilisaient l’eau de son cours au plus près. Il lui semblait que toutes les mesures imaginables avaient été concentrées pour dérober les abords et
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