L'année du volcan
prendre l’apparence pour une certitude.
À leur retour au Grand Châtelet, le père Marie informa Nicolas que le lieutenant général de police l’attendait en son hôtel et qu’il devait s’y rendre sans désemparer. Bourdeau fut chargé de veiller à l’ouverture du corps de Bezard, Sanson ne devant plus tarder à paraître.
Le Noir accueillit Nicolas, l’air effaré, et se tourna aussitôt vers un personnage inconnu tassé dans un fauteuil. Nicolas considéra cet homme malingre, encore jeune, dont la figure figée n’avait rien d’agréable.
— Monsieur, dit Le Noir avec un respect marqué, je vous présente le marquis de Ranreuil, commissaire du roi aux Affaires extraordinaires.
— Sa Majesté m’a dit tout le bien possible à votre sujet, monsieur. Et qu’on pouvait s’ouvrir à vous des questions les plus secrètes.
La voix était aussi déplaisante que le visage, mais le regard s’était adouci. La vue d’évidence était basse et l’inconnu clignait des yeux en lorgnant Nicolas.
— M. Lefèvre d’Ormesson, contrôleur général des finances, souhaite vous entretenir d’une enquête dont vous êtes en charge.
Ainsi c’était lui, songea Nicolas, l’homme responsable du Trésor depuis le printemps. Aimée d’Arranet lui en avait longuement parlé au sujet de places sollicitées pour la maison royale d’éducation de Saint-Cyr. M. d’Ormesson était l’administrateur du temporel de l’établissement et, en cette qualité, travaillait directement avec le roi. Des places ayant vaqué, la reine avait appuyé les protégés de sa camarilla . D’Ormesson avait, quant à lui, soutenu des demoiselles dont les pères étaient morts au service de l’État dans la dernière guerre, disant que celles-ci méritaient la préférence. Ce courage audacieux avait plu au monarque et sans doute déterminé son choix pour la charge de contrôleur général. L’impétrant avait bien argué de sa jeunesse pour éloigner le calice, mais le roi, bonhomme, avait rétorqué que lui-même était bien jeune quand il avait dû accepter une fonction d’une tout autre importance. Aiméeavait ajouté que l’homme ne disposait ni de la grâce, ni de la facilité, ni de l’aisance des manières que l’on souhaite à la cour, mais qu’il était réputé pour son labeur et une probité intacte.
— Monsieur, reprit le ministre, savez-vous qu’il y a moins d’une heure un homme s’est plaint de vous, en ma présence.
— Monseigneur…
D’Ormesson fit un geste comme pour dire que l’appellation comptait peu pour lui.
— … J’imagine qu’il peut s’agir d’un noble étranger, médicastre et mage, fort couru de la cour et de la ville.
— Je n’ai guère saisi le sens de son propos. Le Noir vient de m’en dire suffisamment pour savoir de quelles affaires vous êtes actuellement en charge. J’attends de vous des éclaircissements.
Nicolas résuma les circonstances et les informa de la suite des événements et de la mort de Bezard dans des conditions suspectes. Le ministre parut atterré de ces révélations. Il se leva, fit quelques pas, regarda par la croisée et revint s’asseoir.
— Monsieur, le roi est garant de votre discrétion. Je dois vous mettre au courant de la conjoncture. Nous affrontons une crise générale grave. Le déficit des finances est la conséquence d’une guerre onéreuse. Il y a une difficulté de paiements à la Caisse d’escompte qui va m’obliger à la soutenir. Le besoin de numéraire est urgent, il va falloir emprunter auprès d’elle ce qui risque, une fois connu, de déclencher une panique dans le public et de nous contraindre à forcer le cours. La confiance disparaîtra et l’on s’interrogera sur la fiabilité et les remboursements des billets d’escompte. Déjà des rumeurs s’installent dans les cours étrangères… Enfin, etc’est là que le bât blesse, j’envisage pour arrêter l’éventuelle hémorragie d’interdire les exportations d’espèces métalliques, la mauvaise monnaie chassant la bonne. Vous mesurez, monsieur, j’espère, la gravité de mes propos et l’absolue exigence de les oublier sur-le-champ.
— Dois-je comprendre, monsieur, que cette affaire est destinée à demeurer environnée de ténèbres ?
— Je n’exprimerais point mon sentiment d’une manière aussi dramatique. Le mal est fait en ce qui concerne la malversation au détriment de l’État. La fraude est avérée, traversée,
Weitere Kostenlose Bücher