L'année du volcan

découverte et ceux qui en développaient les effets ont été mis hors de nuire. Quant à ceux qui pourraient être, je dis bien pourraient, à l’origine de ce trafic et qui, une nouvelle fois, touchent aux marches du trône, nos soupçons désormais les rendent impuissants. Quant à cet aventurier, ce Cagliostro, à propos duquel je ne partage pas le goût, si propre à notre pays, pour la nouveauté et l’extraordinaire, que la cour et la ville lui accordent, il est par ses relations et son rôle dans certaines sociétés secrètes pour l’heure intouchable.
    — Mais…
    — Non. Je dis pour l’instant, car nul doute qu’un faux pas excessif finira bien par le perdre. Quant à vous, monsieur, poursuivez et achevez votre enquête. J’aurai peut-être la satisfaction d’en connaître la perspicace issue…
    Il soupira et hocha la tête.
    — … si toutefois je suis encore contrôleur général à ce moment-là.
    Il sembla se parler à lui-même.
    — Si l’on pressentait ce que le pouvoir signifie et que l’autorité qui en découle ne cesse de se heurter à d’infranchissables obstacles, on ne s’évertueraitpas ainsi pour s’en emparer… Oui, en vérité le fardeau est lourd.
    Il se leva, salua Le Noir, sourit à Nicolas et ce mouvement transforma un instant son ingrat visage, puis il sortit à petits pas pressés.
    Un long silence suivit ce départ. Le lieutenant général regardait avec inquiétude Nicolas, accablé.
    — Que voulez-vous, Nicolas, les arguments de M. d’Ormesson sont recevables. Il a des responsabilités d’État qui dépassent nos pauvres considérations. Imaginez un instant que la confiance sur la crédibilité du royaume, déjà bien écornée, s’effondre au su de ce que nous avons découvert, un trafic d’espèces d’un royaume allié, notre parole ne vaudrait plus rien. Or c’est sur sa fiabilité que repose notre capacité à emprunter. Sa Majesté ayant refusé à plusieurs reprises de hausser les impôts comme tous ses prédécesseurs l’avaient fait pour financer les guerres, il n’y a pas d’autre issue. Et le marchand de ferrailles, ce Lambroie de la cour du Dragon, le croyez-vous menacé ?
    — S’il savait quelque chose, il serait déjà mort par les temps qui courent. Nous allons nous concentrer, puisqu’il le faut…
    — Ne soyez pas amer. Vous ne connaissez que trop bien depuis des années que nos enquêtes se heurtent toujours à la raison d’État. Et peut-être que cela vaut parfois mieux. N’oubliez pas que la reine a été à l’origine de cette affaire. Je n’ose me figurer…
    Le Noir s’arrêta, rendu muet de sa propre audace.
     
    Nicolas renvoya sa voiture et décida de rentrer à pied au Grand Châtelet. Il avait besoin de réfléchir et, seule, la marche, cet oubli de soi animé, autorisait ce vide de l’esprit que venait peu à peu emplir idées et images.
    C’est d’un pas d’automate qu’il rejoignit la rue Saint-Honoré. Il regardait les visages des passants et les devantures des boutiques sans vraiment les voir. Il lui semblait aussi avoir oublié quelque chose, des pensées fugitives qui à plusieurs reprises lui avaient traversé l’esprit. Elles étaient sans doute essentielles et il lui fallait les retrouver. Il s’arrêta soudain. Un fait capital venait de surgir du fatras des hypothèses. Fallait-il être sot pour n’y avoir pas songé plus tôt ! Il feuilleta son petit carnet noir avec fébrilité et finit par retrouver le passage intéressant. Il hésita un moment, consulta sa montre, fit demi-tour et gagna le Dauphin couronné à l’extrémité du faubourg. Il y interrogea longuement la Paulet. Au sortir de la maison galante, il héla un pot-de-chambre qui le conduisit à toutes brides chez la Bourdeille avec laquelle il recoupa ce qu’il avait appris auparavant de la Paulet. Il devait maintenant assimiler sa découverte et en tirer les conséquences nécessaires. Les pièces du carton découpé se présentaient en désordre, il convenait de les remettre en place et de jeter la raison sur l’incertain du monde.
     
    Au Grand Châtelet, Nicolas ordonna à Gremillon de se rendre avec force exempts à l’Hôtel de Trabard et d’y arrêter l’ensemble des suspects. Ils seraient incarcérés en attendant l’organisation d’une confrontation générale en présence de Sartine et Le Noir dans le grand bureau du lieutenant général de la vieille forteresse. Sanson, venant d’achever l’examen