L'année du volcan
mort.
— Permettez d’interroger l’homme de cheval que vous êtes, plus écuyer que palefrenier selon moi. Est-il véridique que votre maître, le vicomte de Trabard…
Il lisait dans son carnet.
— … corrigeait souvent avec violence Bucéphale ? Pourquoi, contrairement à ce que vous affirmez, cet étalon était-il, selon Burgos, je cite, une bête vicieuse, sournoise, impossible à maîtriser ?
Decroix s’esclaffa, se tapant sur les cuisses.
— Ah ! Monsieur le commissaire, vous pouvez en juger par vous-même. Un mouton, même quand on le mène à la jument, à condition de savoir le prendre et lui parler. Le vrai, je vais vous le conter. Ce petit greluchon a un jour tenté de le monter. Il a usé de l’éperon et de la cravache. Qu’arriva-t-il ? Excédé, le cheval l’a jeté à terre. Il en a été quitte pour une semaine de lit, le corps passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !
Nicolas regarda Bourdeau. Tous deux pensaient la même chose et les paroles entre eux étaient inutiles. Ce que leur apprenait Decroix sur beaucoup de points posait davantage de questions qu’il n’en résolvait. Tout devait être repris et analysé par le menu.
— Je vous remercie pour votre franchise, mais si nous revenions au détail des événements de la nuit ?
— Soit. C’est Grégoire, un de mes garçons d’écurie…
Il désigna à quelques pas de là un grand garçon hirsute, un seau à la main.
— … Il attend pour nettoyer l’écurie.
Nicolas réfléchit un moment.
— Qu’il s’y consacre, mais s’il découvrait par hasard quelque chose d’anormal, qu’il me l’apporte aussitôt. D’ailleurs, je l’interrogerai.
Decroix alla parler au garçon qui approuvait en secouant sa chevelure rousse, puis revint auprès des policiers.
— Je vous disais donc que Grégoire au cours de sa ronde de nuit a découvert le corps. Il est aussitôt venu me chercher.
— Où ?
— Là où je loge, dans les communs qui se trouvent derrière la carrière. Je suis aussitôt accouru pour constater le carnage…
Il s’arrêta, la voix étranglée.
— C’était affreux… Et le cheval était comme fou. J’ai appelé de l’aide… Il a fallu tenir Bucéphale en respect pour retirer le corps de M. le vicomte.
— Et alors ? Que s’est-il passé exactement ? reprit Nicolas qui attendait en vain que le récit se poursuive.
— J’ai prévenu madame. Elle n’a pas ouvert et je lui ai parlé à travers la porte. Autant que j’ai pu en juger, elle n’a marqué aucune émotion, rien exprimé, ni pris de décision. C’est alors que, dans l’effroi du moment, Diego Burgos a pris les choses en main.
— Arrêtons-nous à cet instant, je vous prie. Il nous faut replacer tous ces événements dans un laps de temps précis. À quelle heure votre garçon d’écurie a-t-il découvert le corps ?
— Comme je vous l’ai dit, Grégoire a coutume de faire une ronde aux environs de minuit, un peu avant, un peu après, c’est selon.
— Le pourquoi de ces rondes ?
— Nous faisons courir des chevaux dans la plaine des Sablons. Vous savez sans doute que cela donne lieu à des paris plus ou moins licites. Le public est mêlé et les enjeux portent sur de grosses sommes d’argent. Et qui dit argent signifie moyen pervers d’en gagner. Ainsi on peut s’en prendre aux jockeys, mais aussi, et plus sûrement, aux montures, soitpour les estropier, soit pour les droguer avec du picotin farci .
— Donc, aux environs de minuit, Grégoire ouvre la porte de l’écurie. Est-ce un geste habituel ?
— Non, il patrouille dans tout le domaine sans pénétrer dans les écuries. Ce qui l’a poussé à ouvrir, c’est le vacarme de la fureur d’un cheval et l’agitation des autres. Il s’est bien rendu compte que quelque chose d’inhabituel s’était produit. De l’extérieur il ne pouvait savoir qu’il s’agissait de Bucéphale.
— L’écurie était-elle fermée par un cadenas ?
— Point. Il y a toujours risque d’un incendie, auquel cas il faut pouvoir faire sortir les chevaux aussi diligemment que possible.
— Donc à minuit découverte du drame, dix minutes plus tard on vous prévient. Vous vous rendez sur place vers minuit vingt. Le temps de prévenir Mme de Trabard, on atteint presque une heure. Êtes-vous d’accord avec ce décompte ?
— C’est cela. Je venais juste de rentrer d’une promenade sur les boulevards ; le temps était lourd et
Weitere Kostenlose Bücher