L'année du volcan
Ses pieds démontrent qu’elle est sortie et en silence de manière à n’être pas découverte. Pour aller où ?
— Les pétales, l’herbe ?
— Ne prouvent rien, car de ce point de vue les deux pelouses sont identiques. Mais j’ai plus d’un tour dans mon sac.
— Le fait par exemple que personne n’a vu Mme de Trabard au moment de la découverte du drame ; il n’y a eu que paroles échangées à travers une porte close. La musaraigne ?
— Tu en ajoutes. Mais il y a plus. La reine de Hongrie entre en scène, semant sa trace à tout bout de champ.
— Marie-Thérèse ! Feue l’impératrice d’Autriche ?
Nicolas s’étranglait de fou rire.
— C’est de l’ Eau de la reine de Hongrie dont je parle. Un parfum très apprécié. Je l’avais reconnue sur Mme de Trabard qui, d’évidence, s’en inonde. Or dans les draps de Decroix, mais aussi dans l’eau sale de la cuvette, j’ai relevé les effluves du même parfum.
— Et tu en conclus ?
— Un état des lieux gazé d’incertitudes. La vicomtesse n’a point passé la nuit dans sa chambre. Il n’est même pas assuré qu’elle ait été dans son appartement quand on est venu lui annoncer la macabre découverte. Où était-elle donc ?
— À gambader pieds nus sur les pelouses, tout inondée de suaves odeurs.
— Et comme cette même essence se retrouve à deux endroits chez Decroix… Et donc…
— Et nous nous accorderons pour opiner que la dame a un amant et qu’elle a passé la nuit chez son beau maître-palefrenier pour un déduit parfumé. Elle peut te traiter de commis… Quand on se commet de la sorte !
Goguenard, Nicolas considéra Bourdeau.
— Quel sens des convenances et de l’étiquette ! Ah ! Elle a beau jeu, ta propension à l’égalité, te voilà scandalisé d’une situation assez commune, ma foi !
— Touché ! J’ai parlé sans réfléchir.
— Qu’elle ait un amant, c’est son affaire. Qu’elle ait eu des raisons de haïr son époux, c’est la nôtre. S’il s’avérait que M. de Trabard…
— Qu’on prouve le crime et elle devient suspecte sur-le-champ. Et elle n’est pas la seule. Le Decroix peut être impliqué.
— Et Burgos ? Ce bestiau-là ne me paraît pas franc du collier. Il nous a soutenu d’étranges propositions.
— Et que contenait la mangeoire truquée ? D’autres éléments sont à prendre en compte. N’oublions pas la chambre visitée et le mystérieux inconnu du soir en carrosse de cour.
Bourdeau sortit sa pipe en terre, la bourra et se mit à l’allumer au briquet battu.
— Sage précaution !
Cette voix tonitruante appartenait à Guillaume Semacgus.
— Je prévois, reprit-il, que Nicolas va justement sortir de sa poche une tabatière qui lui est chère et dont je ne le vois user qu’à la basse-geôle ou quand il veut se concilier un témoin en le faisant éternuer !
Il s’attabla, attira la terrine, prit l’assiette et la cuillère de Nicolas, et après s’être versé une rasade dans le verre de Bourdeau, entreprit de terminer les restes du repas. Nicolas saisit cette occasion pour résumer à l’attention du chirurgien de marine l’affaire qui les occupait et les questions qu’elle posait.
— Comment nous avez-vous trouvés ? demanda Bourdeau.
— Mon cher Pierre, vous êtes tous deux si populaires dans le quartier qu’à peine étais-je sous le porche du Grand Châtelet que trois vas-y-dire successifs m’ont indiqué que vous dîniez rue du Pied-de-Bœuf.
— C’est dire, cher Guillaume, que vous êtes aussi connu que nous puisque votre seule présence signifie pour tous que vous nous cherchez.
Le repas s’acheva par un clafoutis de cerises aux peaux de lait que seul Nicolas dédaigna. Il se revit le matin à Guérande, sa nourrice essayant de lui faire avaler la couche parsemée de fines taches jaunes qui couvrait la surface du breuvage. Il enéprouvait une telle horreur qu’on avait renoncé à le forcer. Il eût été périlleux de tenter à nouveau l’expérience avant la redoutable épreuve d’une ouverture.
Quand ils descendirent dans les souterrains de la vieille forteresse, Sanson les attendait, l’air paisible, apprêtant ses instruments. Les aides du bourreau avaient lavé le corps du vicomte à grande eau. Nicolas se demanda si son apparence n’était pas plus épouvantable, ainsi présenté, que recouvert de sang et de fange, tel qu’il l’avait découvert dans les écuries de
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