L'année du volcan
l’Hôtel de Trabard.
Après les saluts toujours chaleureux adressés à Sanson, leur ami depuis tant d’années, Bourdeau ralluma sa pipe, Nicolas prisa et Semacgus tomba l’habit et revêtit un tablier de cuir protecteur.
Les deux praticiens se penchèrent sur le corps. Ils se redressèrent, murmurèrent quelques paroles, puis, à nouveau, leurs têtes se courbèrent à se toucher. Ils continuèrent leur examen un bon quart d’heure. Il y eut enfin comme une lutte de politesse après que Semacgus eut longtemps parlé à son confrère.
— Mon cher ami, dit Semacgus à haute voix, il vous revient d’exprimer notre premier sentiment. Ici, nous sommes vos invités.
— Puissé-je, dit Sanson avec un pauvre sourire, vous recevoir dans des lieux plus accueillants. Puisque vous le souhaitez, je vais résumer nos observations afin d’éclairer nos amis. Nous sommes devant un cadavre, celui d’un homme âgé d’environ quarante-cinq ans, plus ou moins. Le corps est meurtri, des os sont brisés. Le diagnostic pourtant est malaisé. Dans ce genre de cas, il ne faut pas confondreles apparences et désigner indistinctement sous le terme de blessures, des plaies, des contusions et des lésions qui ne se ressemblent pas. Le respect des nuances s’impose dans ce domaine. Or dans cet examen nous distinguons, non des contusions ou des meurtrissures…
— Qui n’impliquent pas d’entamures de la peau.
— Le docteur Semacgus m’ôte les mots de la bouche. Notre victime porte des blessures ouvertes, avec des dilacérations des muscles et même, à certains endroits, nous avons noté des symptômes d’attrition…
— Qu’est-ce à dire ? demanda Bourdeau.
— Il s’agit de la désorganisation complète des parties molles réduites en une sorte de bouillie. C’est en particulier l’observation que nous avons faite au sujet du crâne de la victime. Il aurait pu survivre aux diverses plaies et fractures que nous avons relevées, mais certainement pas à la destruction de sa boîte crânienne.
— Sous réserve de ce que des examens ultérieurs pourraient nous révéler, ajouta Semacgus, il n’y a pas soupçon de tentatives dolosives ayant pu entraîner la mort.
— Reste, remarqua le bourreau, que la victime a pu être frappée, notamment à la tête. Les blessures ultérieures peuvent avoir masqué ce coup.
— Cependant mes amis, intervint Nicolas, l’homme n’aurait-il pas été drogué et conduit à l’écurie ?
— Nous le découvrirons le cas échéant.
— Il aurait fallu pour cela que le vicomte de Trabard fût porté jusqu’à l’écurie. C’est un homme dans la force de l’âge.
Sanson leva la main et après un instant de réflexion s’adressa aux policiers.
— Le docteur Semacgus m’a confié en quelques mots ses premières constatations. Un fait ne laissera pas de vous intéresser. Avant de nettoyer le cadavre, j’ai relevé la malpropreté de la plante de ses pieds. J’y ai retrouvé, outre la paille et les souillures d’une écurie, des traces d’herbe. J’en conclus que le vicomte a marché sans souliers jusqu’à l’écurie. Encore que, menacé, il aurait pu y être contraint.
— Voilà un indice des plus précieux ! Cependant deux questions : primo, auriez-vous décelé des traces ou des cicatrices de blessures de guerre sur ce corps ? Secundo, les terribles destructions infligées auraient-elles pu l’être par un tiers et non par un étalon en fureur ?
— Je répondrai à la seconde et laisserai la première à Semacgus, plus expert que moi pour les blessures de guerre. La configuration des plaies, les vestiges du sol qu’on y peut recueillir, tout concourt à estimer qu’aucune autre intervention homicide n’est venue frapper le vicomte de Trabard.
Semacgus désigna le côté gauche du cadavre.
— Quant à la seconde question, il n’y a aucun doute. Il y a sous l’épaule gauche une cicatrice d’une ancienne blessure par balle…
Il posa le doigt sur cet endroit du corps.
— … et un cal osseux laissant pressentir la vieille fracture d’une côte.
— Cela correspond à ce que nous savons par ailleurs.
Tous se tournèrent vers le commissaire. Il prisa, éternua, se moucha et parut réfléchir.
— Mes amis, sous réserve de vos recherches complémentaires, nous pouvons désormais appuyer notre enquête sur des quasi-certitudes. Ce cadavre est bien celui du vicomte de Trabard, sa mort provient de blessures causées par le
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