L'année du volcan
état d’autant plus étonnant qu’il paie tout d’avance et qu’on ne sait d’où il tire ses revenus. Personne n’a plus d’esprit et de connaissance que lui.
— N’est-ce pas, dit Besenval sans sourire, le propre du mage de prétendre assurer la transmutation de tous les métaux imparfaits en or fin ? Vous le confirmez, monsieur ?
Cagliostro éclata en un rire sarcastique. Ses mains virevoltèrent au-dessus de sa tête, faisant scintiller plusieurs bagues de prix.
— Eh ! Voilà bien la plous commune question qu’on mé pose. Que ié sache soigner importe peu, c’est l’or qui fascine, c’est l’or qui attire, c’est l’or qui subjougue ! Demandez au cardinal de Rohan. Son Éminence vous répondra. Douteriez-vous de la parole d’oune prince de l’Église ?
Suivit un terrible baragouin où il fut question des astres, du grand arcane, de Memphis et des anciens Égyptiens, de l’hiérophante et de la chimie transcendante.
— Ne craignez-vous pas, monsieur le comte, tomber par votre activité alchimique sous le coup des Édits renouvelés de nos rois qui poursuivent avec rigueur ce genre d’industrie ? Consultez Delamare 12 . Reste que vos confrères…
— Je n’en ai point !
— … que vos confrères qui officient faubourg Saint-Marceau, qui composent des élixirs, distillent des eaux, grossissent les pierres fines, crèvent de faim dans la crasse et l’obscurité, tout en prétendant faire de l’or. On verra, on verra, mais on ne voit jamais. C’est du vent qui est transmuté !
— Méfiez-vous, Cagliostro, s’écria La Borde réjoui, le marquis de Ranreuil est aussi commissaire de Sa Majesté aux Affaires extraordinaires.
Le comte jeta sur Nicolas un regard froid où se mêlaient la crainte et un autre sentiment que l’intéressé préféra ignorer.
Le premier plat apparaissait.
— Madame, et vous, messieurs. Chacun sait ma fantaisie de prêter la main à cet art gourmand qu’est la cuisine. Je m’y consacre pour mes amis à l’instar du feu roi. Voici une timbale à la Duhesme dont, pour satisfaire une tradition chère à notre ami Ranreuil, je vais vous confier la recette.
— L’alchimie della natoure ! s’écria Cagliostro. Vous, ma biche, qui êtes bec-fine et délicate comme oune chatte…
Il s’adressait à Mme de La Motte.
— … ouvrez grandes vos oreilles, ma gazelle, ma colombe 13 .
— Il vous faut, reprit La Borde, préparer avec une fine farine, du beurre fin de Vanvres, du sel, de l’eau et un œuf entier, une pâte dont vous garnirez un moule rond.
— Et que mettez-vous dans cette tourte ?
— Il faut préparer peu avant divers ingrédients. Je me procure des cailles bien grasses. Ces mignonnes, je les braise doucement à point que la chair des filets puisse être retirée facilement. Puis je me prépare un godiveau composé de rouelle, de lard et de moelle, bien assaisonné. Je le place au fond de ma croûte et, sur ce lit, je couche mes filets de cailles, des ris de veau, des tranches de truffes, des cubes de foie gras et des œufs durs de l’espèce. Je mouille d’un peu de gelée de veau, je ferme le couvercle et ouvre un nombril.
— Un nombril ! La chose est plaisante, minauda la comtesse de La Motte.
— C’est oune image, ma colombe.
Nicolas riait à part lui, persuadé qu’un autre nom d’oiseau eût mieux convenu à la dame.
— Mais, mon cher, intervint Besenval, d’où tirez-vous des truffes à cette époque de l’année ? Est-ce là un miracle de M. de Cagliostro ? Fait-il aussi croître les champignons ?
— Ié suis lé plous innocent du monde pour ce coup-là !
— Je vais tout vous confier. Ces truffes récoltées à la fin de l’hiver sont soigneusement placées dans des vessies emplies de sable, fermées d’un lien de paille des plus serrés… Pour en revenir à la manière, je dore le couvercle d’un jaune d’œuf et je fais cuire au four du potager une heure et demie.
La Borde entreprit aussitôt de servir ses invités appétés par le suave fumet qu’exhalait ce plat de haut goût. Seul Cagliostro multiplia les regrets et excuses. Son régime et sa religion ne lui permettaient pas de souper. Il avait cédé aux prières de La Borde soucieux d’honorer une invitation pardéférence – il se dressa de son siège pour saluer – envers le comte de Besenval.
— Mais quelle est votre religion, si vous permettez que je vous pose la question ?
— Moussu lé comte,
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