L'année du volcan
par lui qu’elle a connu notre grand homme, Cagliostro.
À ce moment, le laquais annonça les visiteurs.
— Mme la comtesse de La Motte de Saint-Rémy de Valois et M. le comte de Cagliostro.
Pendant que La Borde s’empressait auprès des arrivants et que s’échangeaient les habituels compliments, Nicolas, avec cet œil de collectionneur d’âmes, essaya de se faire une première impression. Il dévisagea les nouveaux venus.
La comtesse appartenait à l’espèce menue, gracieuse et vive. Cela frappait dès l’abord. Son visage éclatant de blancheur, éclairé d’yeux bleus vifs et mouvants, ne celait guère ses impressions. Sous la fine chevelure châtain sans poudre, l’ensemble était accentué par la courbure mouvante des sourcils. Un fard habile et discret ne parvenait pas à masquer une bouche trop large qui s’ouvrait pourtant sur des dents parfaites. Elle parlait d’une voix douce et insinuante. Il semblait qu’elle eût acquis depuis, en dépit de son enfance misérable, un ton aristocratique, un maintien distingué et une capacité assurée d’adoption des rites de sa caste. Était-ce le sang qui parlait ? Elle tendit sa main à baiser et, quand Nicolas releva la tête, le clair regard de la comtesse plongea dans le sien avec une gênante insistance.
Le regard du comte de Cagliostro ne fut pas moins insistant, mais d’une autre nature. La curiosité, l’inquiétude aussi, celle qui saisit devant un inconnu, et une sorte de volonté d’en imposer, tout cela fut déchiffré par un Nicolas sur ses gardes. De gros yeux à fleur de tête semblaient pénétrer l’autre comme une vrille. À cela s’ajoutaient des traits grossiers qui déparaient un petit ragot court et épais, sans cou et au front dégarni. Il parlait haut, d’un ton éclatant coupé de rires saccadés et moqueurs qu’il décochait avec une hardiesse effrontée. Il accabla Nicolas d’un long couplet complimenteur.
Le souper fut annoncé. Chacun alla prendre place autour d’une table ronde quand Cagliostro arrêta lemouvement. Il demeurait immobile, se tenant la tête et marmonnant d’inintelligibles formules. Il leva une main, l’air inspiré.
— Ié crois qu’oune autre chaise est nécessaire autour de la table. Oune intelligence nous visite. La sentez-vous ? Elle veut participer au festin. Il faut, oui, il faut ajouter oune chaise.
— Soit, mon ami, dit La Borde sous le regard excédé de sa femme. Qu’on ajoute un couvert.
Un valet modifia la disposition de la table et les convives prirent place. Élisabeth de La Borde avait Cagliostro à sa gauche et Besenval à sa droite. L’hôte fit asseoir la comtesse à sa droite et Nicolas à sa gauche. La place réservée à l’intelligence en visite, en forme symbolique, sépara Besenval du commissaire.
Cagliostro s’empara aussitôt du dé de la conversation. Son verbiage était un ramas d’italien et de français, le tout lardé de mots d’une langue étrange qui compliquait encore l’entendement de son galimatias. Il entreprit, sans doute à l’intention d’inconnus qu’on venait de lui présenter, de dévider le récit de sa vie depuis sa naissance en Arabie 10 sous le nom d’Acharat. À douze ans, il avait commencé ses voyages par Médine où il acquit la certitude d’être le fils caché du chérif de La Mecque. Il parcourut ensuite les principaux royaumes d’Afrique et d’Asie. Il séjourna à Malte, puis en Italie où il rencontra les cardinaux et les princes romains, en particulier le cardinal Ganganelli, depuis pape sous le nom de Clément XIV. Il poursuivit sa connaissance du monde par l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, la Hollande, la Courlande, la Russie où il fut l’ami du prince Potemkine et de Corberon, chargé d’affaires de France, et la Pologne. Enfin, cédant aux instances de la ville de Strasbourg et de la noblesse d’Alsace, il avait accepté de consacrer ses talents en médecine au service du public.
— J’ajouterai qu’oune très cher ami prépare oune ouvrage 11 dans lequel, au détriment de ma modestie, il rappelle et honore mes pauvres talents.
Il fixait La Borde aux anges.
— C’est vrai ! C’est vrai ! J’y fais l’apologie de cet homme singulier, étonnant, admirable, toujours prêt à voler au secours des malheureux…
— Pour voler, cela assurément il sait le faire ! murmura Besenval en se penchant vers Nicolas pour lui parler à voix basse.
— … Cet homme incroyable tient un
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