L'année du volcan
c’est celle de la raison.
Nicolas jugea la réplique un peu brève pour un homme que la rumeur décrivait évoquant Jéhovah avec la plus grande éloquence et le plus profond respect. Qu’il se dise guidé par la raison dépassait l’entendement pour un oracle qui agitait de grands mots dans des phrases inintelligibles. Son art, ou sa duplice, ne relevait en aucun cas de la raison tant il s’appuyait sur l’obscurité des termes et des développements.
Cagliostro demanda du café et sortit de sa poche une petite ampoule de cristal contenant un liquide verdâtre dont il prit, avec des mines de dévot à la communion, quelques gouttes dans sa tasse. Nicolas surprit un étrange regard de la comtesse de La Motte jeté sur son protecteur. Que signifiait ce curieux mélange de froideur, de mépris et, à vrai dire, de cruauté ? Quels intérêts pouvaient lier deux êtres aussi éloignés par les origines et que seule, apparemment, la volonté du cardinal de Rohan avait rassemblés ? Il se promit de consulter les fiches de police, si tant est qu’il en existât sur Mme de La Motte. Quelle mouche avait piqué son ami La Borde pour s’enticher de ces troubles personnages ? L’appartenance de Cagliostro à la maçonnerie était-elle la seule raison qui justifiât cet engouement ?
— Votre potion est-elle de celles dont on dit force merveille ? dit Besenval d’un ton d’inénarrable hauteur.
Il jeta un regard connivent à Nicolas.
— Si ! répondit-il, en agitant sa chaîne de montre en diamants à trois brins.
À l’un d’eux pendait un gland de rubis, à l’autre un cachet d’agate. Au troisième était attachée une clé d’or ornée de brillants.
— Cette liqueur a la vertou de maintenir ceux qui en usent dans l’âge où ils se trouvent au moment même. J’en suis le vivant exemple.
— Ne dit-on pas que vous auriez rencontré le Christ ?
— On dit vrai !
Le ton était moqueur et provocant.
— Nous étions ensemble du dernier bien et souvent nous marchâmes ensemble au bord du lac de Tibériade. Sa voix était d’une douceur infinie. Il a réuni des gueux, des pêcheurs, des loqueteux. Et il s’est mis à prêcher. Il n’a pas voulu écouter mes conseils. Mal lui en est advenu. Je n’ai point de témoin pour confirmer la véracité de mes dires. Mon principal domestique n’est à mon service que depuis quinze cents ans.
— Peuh ! Un jeune homme, lança Besenval qui secouait sa vieille tête avec commisération.
La Borde paraissait agacé des propos de Cagliostro qui ne pouvaient manquer de faire douter du sérieux de son grand homme. De surcroît, sensible à la tension latente qui croissait entre ses deux invités, il décida de faire diversion et s’adressa à la comtesse de La Motte.
— Chère comtesse, vos démarches en vue de reconnaître vos droits sont-elles en passe d’aboutir ?
— Hélas, monsieur, je m’y efforce. Je me dois à mon nom, c’est lui la cause de mes malheurs. Pourquoi suis-je issue du sang des Valois ? Oh, nom fatalqui m’a contrainte à une errance qui n’eût jamais dû m’être imposée !
Des larmes jaillirent en abondance. Cagliostro lui tendit un mouchoir.
— Calmez-vous ma biche ! Poverina ! Nous compatissons tous à votre situation.
— Pardonnez l’émotion qui m’étreint. Dieu et la fortune ont voulu que Mme de Boulainvilliers ait eu l’heur de me présenter au cardinal de Rohan. J’avais enfin trouvé un protecteur en Son Éminence. Je ne demande pas grand-chose : retrouver mon domaine de Fontette et être reconnue pour ce que je suis, une fille de sang royal.
Cela fut dit les yeux baissés, presque susurré, dans une sorte d’affaissement modeste du corps.
— J’ai, reprit-elle, perdu beaucoup de temps en sollicitations infructueuses sous l’administration de M. Joly de Fleury et, maintenant, auprès de M. d’Ormesson qui s’obstine à ne point répondre à mes instances et à mes objurgations.
— Ma , il faut poursuivre ! Bueno studio vince rea fortuna.
— C’est parler d’or ! dit La Borde qui connaissait l’italien. L’opiniâtreté réussit toujours à dompter la mauvaise fortune.
— Que ne vous adressez-vous à Sa Majesté ? dit Besenval avec un rien d’ironie.
— Hélas, monsieur le comte, encore faut-il réussir à l’approcher. Une fois, l’occasion s’est présentée. Pourtant il n’est pas au pouvoir de la sagesse humaine d’enchaîner la fortune.
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