L'année du volcan
bateleurs de la foire Saint-Laurent ; la parole du comte s’apparentait à leur bagout. Cette face aux traits grossiers, aux yeux étincelants et au triple menton parvenait, l’espace d’un court instant, à refléter mille émotions, innocentes ou matoises. Un relief tourmenté et mouvant sur lequel l’ombre des nuages chasse par à-coups la lumière. Quelle était la vérité profonde de ce personnage de la commedia dell’arte ? Sa façade n’était-elle qu’un masque, peint et maquillé, peut-être celui d’un pauvre homme ? Quelle recette lui permettait de s’ériger en mage et guérisseur ? La croyance en ses pouvoirs surnaturels et la presque dévotion de beaucoup, et parmi les plus huppés de la société, pour son prétendu génie, dérivaient-elles de ces croyances irraisonnées venues du fond des âges ? En ces temps de lumières, celles-ci surnageaient et emportaient les esprits les mieux éclairés. Qu’on croie en lui renforçait sans doute sa propre assurance en ses capacités et en redoublait la jactance.
— Ma, signore commissaire, ou moussu lé marquis. Ié cause, ié cause. Pour quel objet avez-vous souhaité m’entretenir ?
Il fit un geste pour inviter Nicolas à passer dans une seconde pièce, qui tenait de la bibliothèque et du cabinet de curiosités. Pourtant ce désordre était organisé, sans doute destiné à l’effet d’impressionner. Ils prirent place dans des fauteuils gigantesques aux formes torsadées rechampies d’or.
— Je vous remercie, monsieur, d’avoir aussi vite consenti à me recevoir. Je ne suis pas ici à titrepersonnel, mais pour une affaire criminelle de mon ressort.
Nicolas s’arrêta et laissa durer un silence qui parut mettre son hôte dans le malaise. La conscience du comte était-elle si tranquille qu’il pût sans angoisse laisser la police se pencher sur ses affaires ?
— Dois-je comprendre que j’aurais contrevenou aux lois dou royaume ? Serait-ce en liaison avec vos propos presque menaçants portés hier soir chez notre ami La Borde contre mes recherches, pourtant bien innocentes ?
— Peut-être, c’est selon.
La réponse du commissaire n’était pas de nature à rassurer Cagliostro qui se leva et fourragea dans un monceau de papiers empilés sur un bureau. Il revint s’asseoir près de Nicolas.
— J’ai là des lettres qui joustifient amplement mes actes…
Il les agita.
— … rédigées pour moi par de hautes pouissances du royaume.
— Je n’en doute pas. La société de la cour et de la ville bruisse de vos éminents mérites. L’écho est monté jusqu’aux entours de la reine.
Cagliostro se dressa pour se plonger dans une quasi-génuflexion qui rappela à Nicolas les pantins actionnés par des fils, si goûtés par les enfants.
— Ié souis son très humble serviteur à Sa Majesté !
— Monsieur, j’irai droit au but. On rapporte que vous ne réclamez aucun paiement pour vos soins, que votre générosité est sans limite, et que vous disposeriez d’une fortune immense. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’instruire de la nature de vos revenus.
— Ié souis surpris ! S’agit-il d’une enquête officielle ?
— Elle ne peut l’être davantage, répondit le commissaire en agitant une lettre de cachet qui se déplia dans un claquement sec.
— Apprenez que la ressource dont je dispose ressort de ce que, dès mon arrivée dans oune nouveau pays, oune banquier me fournit de tout ce qui m’est nécessaire. Il en est ensuite remboursé. Pour la France, j’ai Sarazin de Bâle, lequel comme oune frère …
Il appuya sur cette étrange dénomination qui fit penser Nicolas à l’affiliation de Cagliostro à des sociétés secrètes.
— … me donnerait toute sa fortoune si ié la lui demandais. Même chose à Lyon avec M. Sancostar. Cependant ié vous confie cela pour vous répondre, mais j’ai toujours prié mes banquiers de nier qu’ils l’étaient. J’ai en outre d’autres ressources dans diverses choses qui me sont connues.
— Bien. Je dois donc m’en satisfaire. Que doit-on penser de vos prétendus pouvoirs ?
— Auxquels, bien sûr, vous ne croyez pas ?
— Mon rôle n’est pas de croire, mais seulement de savoir qui est en vérité un homme dont le nom a été cité dans une affaire criminelle.
— Oh ! Oui, la vérité… On m’accuse d’être oune empirique. Que signifie ce mot ? Veut-on par là désigner oune homme qui, sans être docteur,
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