L'année du volcan
chose te chiffonne ?
— Je songe que notre ami Lambroie ne peut être à la tête d’une telle organisation. Au mieux, il en est le greffier, le gardien des lieux. Car battre monnaie avec cette machine ne suffit pas. Les coins doivent être gravés par un artiste habile et qui accepte les risques de cette complicité. Il faut aplatir les feuilles où seront découpés les flans. D’autres artisans sont chargés avant la frappe de les mettre au poids légal de la monnaie choisie. On ajuste la chose à la lime en pratiquant des stries sur les bords. Enfin, après la frappe, les flans seront martelés. Tu imagines la difficulté de ces successives opérations et le nombre d’acteurs qu’elles requièrent ?
— Que vient faire le vicomte de Trabard dans cette affaire ?
— C’est ce que nous devrons traverser. Il nous faut trouver un indice et remonter la filière. L’ami Lambroie sait-il seulement quelque chose ?
— Et que signifie la présence de cette piastre ?
— Surtout ne l’égarons pas ! Si elle a été frappée ici, elle parlera d’elle-même et nous livrera bien des informations. Reste que ces criminels sont d’une rare audace. Comme moi tu connais les lois qui régissent ce genre des crimes.
— Oui, « faire, contrefaire et altérer la monnaie est un crime capital, ainsi que de l’exposer, et en introduire d’autre que celle qui provient des Monnaies de Sa Majesté » .
— Et, poursuivit Nicolas, « les serruriers, forgerons et autres ouvriers travaillant le fer qui auront fabriqué des ustensiles, machines, balanciers et autres outils servant aux monnaies seront punis de mort ainsi que les graveurs et autres qui y auront mis la main » . Et tout cela d’après les ordonnances de nos rois de 1262, 1273, 1549 et 1726.
Bourdeau jeta un regard d’admiration sur Nicolas dont l’encyclopédique connaissance ne laissait jamais de le méduser.
En soulevant les caisses, d’autres pièces apparurent, encore de la piastre et de la monnaie anglaise.
— Quel intérêt y a-t-il à contrefaire en France des espèces étrangères ?
— Cela n’est pas le moins curieux ; en d’autres lieux, j’aurais soupçonné une fomentation de notre Sartine. C’eût été tout lui d’imaginer un tel expédient pour gêner l’ennemi anglais !
— Cela n’expliquerait pas la monnaie espagnole. Ce sont nos alliés, même si une certaine apathie a marqué leur alliance !
— Ce que nous avons sous les yeux me paraît répondre à d’autres desseins et à des intérêts qui nous sont, pour l’heure, inconnus. Mais nous devons dresser notre plan de bataille. Retrouver l’enfant est urgent. Il convient d’activer nos mouches. Gremillon s’en chargera. Secundo, la maîtrise de cet atelier s’impose, car c’est ici que se nouent les écheveaux compliqués que je pressens. Le Lambroie doit être emprisonné.
— Faut voir ! Songe que si nous le sortons, toute la cour du Dragon l’apprendra et, vêtus comme nous le sommes, nous ne passerons pas inaperçus. Les ferrailleurs peuvent prendre fait et cause pour leur confrère et nous menacer d’un mauvais parti.
— C’est bien pourquoi je suggère un autre plan. Il convient d’extraire notre prisonnier par cette porte de derrière dont il nous a parlé.
— Existe-t-elle seulement ?
— Le gamin qui était entré a disparu. Au su des activités illicites qui se développaient ici, on peut aisément imaginer qu’une sortie de retrait était prévue afin de faciliter la fuite éventuelle des participants. Répondons à quelques questions : Lambroie occupe-t-il la totalité de la maison ? Existe-t-il une porte comme annoncée ? Sur quoi donne-t-elle ? Si nous parvenons à quitter la cour du Dragon avec notre prisonnier, cette maison devra se transformer le plus tôt possible en piège. Rabouine et ses hommes l’investiront, par le dehors et au dedans, sans désemparer tant que des visiteurs ne se seront pas manifestés.
Il parut après un rapide état des lieux que Lambroie n’occupait que la partie commerciale de la demeure. Une fouille s’ensuivit sans résultat. Il semblait peu assuré qu’il y vécût. Une porte existait bien donnant sur une petite cour qui s’étrécissait en un boyau puant et rejoignait une autre cour pour finalement déboucher rue Taranne. La voie était donc libre pour les deux policiers. Ils revinrent interroger le ferrailleur qui s’obstina, quand il ne les insultait pas, dans un
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