L'année du volcan
sommeil.
Il quitta fort tôt l’hôtel de Noblecourt pour gagner le Grand Châtelet où il eut la surprise de trouver Sanson et Bourdeau qui l’attendaient, l’air grave.
— Faut-il une sérieuse raison pour que vous m’accueilliez avec ces mines de carême !
— Tu as mis le doigt sur la plaie. Notre ami Sanson vient de me faire part d’un fait nouveau d’importance.
Nicolas se tourna vers le bourreau.
— Lors de l’ouverture, j’avais remis mes conclusions, réservant mon jugement sur les recherches complémentaires que je diligenterais. Or il s’avère que cet examen approfondi démontre que le vicomte de Trabard avait ingurgité une drogue. Cependant, je suis assuré d’une chose, c’est qu’il avait avalé de quoi l’endormir ou le rendre inconscient et que certaines excoriations aux talons du cadavre qui m’avaient échappé tout d’abord, montrent à l’évidence que le corps a été traîné…
— Jarguié ! dit Bourdeau, voilà pourquoi il avait perdu ses mules.
— Ou n’en portait point, et quelqu’un a voulu nous faire accroire le contraire !
— Traîné par deux personnes vu son poids, jusqu’au box du cheval où le piège mortel a fonctionné afin de simuler un accident.
— Êtes-vous convaincu que la victime était encore en vie lorsqu’elle fut ainsi transportée jusqu’aux écuries ?
— D’autres constatations le prouvent. La substance qu’il avait avalée, et dont je n’ai pas encore défini la nature, n’était pas mortelle. L’expérience avec des rats prouve qu’elle endort. Les animaux ont repris conscience plusieurs heures après l’ingestion de la drogue récupérée et isolée. Ils étaient même insensibles à des piqûres, c’est dire…
— Nous vous sommes reconnaissants de cette information essentielle. Elle change le point de vue du tout au tout. Elle ne modifie pas le fait déjà connu que cette mort était un assassinat, mais jusqu’àprésent nous pensions que le vicomte s’était volontairement rendu dans le box de Bucéphale où le piège s’était refermé sur lui. Désormais une conviction s’impose. La mort de M. de Trabard a été préméditée et soigneusement organisée et, au minimum, par deux personnes. Cette découverte pose d’autres questions, et en particulier de savoir si les documents et les pièces retrouvés ont été dérobés à ce moment-là ou auparavant.
— Pour en revenir à ces mules, qu’en penses-tu, Nicolas ?
Nicolas considérait Bourdeau en secouant la tête.
— Te souviens-tu, Pierre, que le fait nous avait intrigués. J’avais constaté que la semelle en était propre. Il était possible que le glacé du cuir n’ait pas accroché de traces, mais la constatation était étrange.
— Il reste que c’est le secrétaire espagnol qui nous les a rapportées ! Doit-on considérer qu’il a eu un rôle dans ce guet-apens ?
— C’est vraisemblable et, en matière criminelle, le vraisemblable tutoie souvent la vérité. Je crois qu’une rapide visite rue d’Enfer s’impose au plus vite. Cependant il me faut rendre compte à M. Le Noir de l’évolution de l’enquête. Elle se complique à l’excès. Merci, cher Sanson, que ferions-nous sans vos soins assidus et le talent que vous déployez sans relâche ? Pierre, tu m’accompagnes chez le lieutenant général de police. Tes avis peuvent être bons à entendre et nous repartirons aussitôt chez les Trabard.
Bourdeau respecta le silence de Nicolas tout au long du trajet entre le Châtelet et l’hôtel de police.Ayant entendu leur rapport, Le Noir, qui les avait aussitôt reçus, ne dissimula pas ses inquiétudes.
— Où cette affaire nous mènera-t-elle ? N’y aurait-il qu’un crime domestique que je ne douterais guère de sa rapide élucidation. Mais je constate que des faits apparemment éloignés s’enchaînent les uns aux autres, mêlant le privé et autre chose que je crains de nommer. La question de la fausse monnaie est plus que grave, elle menace les piliers mêmes de l’État à un moment où le déficit s’aggrave. Liée à la question du chantage que vous savez, elle laisse supposer des menées qu’il nous faut absolument…
Il frappa de la main sur son bureau.
— … traverser. Et l’inquiétude me transit de savoir le nom de la reine évoqué dans de troubles conditions. Imaginez les conséquences si l’opinion, cette gorgone, de plus en plus présente à la cour et à la ville,
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