L'année du volcan
nourrie de rumeurs et de calomnies, venait à connaître même des titres de ce que nous savons. Je me demande… Au fait, peut-être sait-elle déjà tout ? Oui, vraiment, je crois qu’il faut avertir M. de Sartine.
Nicolas entendit Bourdeau chuchoter un propos peu amène pour l’ancien ministre. Que Le Noir qui redoutait toujours les interventions de son lointain prédécesseur en vînt à souhaiter avoir recours à lui en disait long sur la dimension que l’affaire était en train de prendre et sur l’inquiétude qu’elle entraînait chez lui.
— Sartine, reprit le lieutenant général de police, bénéficie de moyens qui pourraient nous être utiles sans compter les informations dont il est, plus que d’autres, à même de disposer. Nul serviteur du roi retiré n’a plus de pouvoir efficient. Considérez ce que j’entends vous faire comprendre. Je sais bien,moi le premier, qu’il est parfois malaisé de travailler avec un homme qui veut tout savoir sans rien connaître, parfois…
Il se mit à rire.
— … nous en avons souvent éprouvé les effets. Mais ce serait erreur de ma part de ne le point avertir du sombre tableau qui se dessine et des périls auxquels nous sommes confrontés. Je vais le faire prévenir et… disons que nous nous retrouverons ici demain à trois heures de relevée.
— Cela nous donne le temps d’approfondir rue d’Enfer les rôles respectifs de Mme de Trabard, du maître-palefrenier et du secrétaire espagnol. Quant au reste, monseigneur, pour malaisé que soit parfois le commerce avec M. de Sartine, son avis peut être de poids et ne saurait être dédaigné.
Bourdeau s’agitait, ce que remarqua Le Noir qui, bonhomme, l’invita à parler.
— N’oublions pas, monseigneur, l’ordre des Prémontrés, partie ô combien prenante d’une transaction qui contrevient aux lois du royaume. Quant au vicaire de Saint-Sulpice, héritier naturel de son frère. Le savait-il ?
— Vous avez raison, ma foi ! Mais vous parlez du vicaire de Saint-Sulpice. Cela fait écho dans ma mémoire à des plaintes renouvelées qui m’ont été il y a peu soumises.
Il fouilla le fatras de documents qui couvrait son bureau.
— Ah ! Voici la fiche que nos inspecteurs m’avaient préparée. Ma gouverne en a été éclairée.
Il chaussa ses besicles.
— Hum… Euh… Voilà… Nouvellement débarqué de son Limousin. Ah ! Oui. Eudes de Trabard, noblesse ruinée de province… Cadet de famille vouéà la prêtrise… Les fidèles de la paroisse se plaignent aigrement de lui et de son curé. D’une part, lorsqu’il distribue des secours à ceux qui les implorent, il fait marquer d’une croix blanche les habits des bénéficiaires à leur grande honte. Le public s’élève contre ces abus scandaleux. À cela s’ajoute sa propension à faire sonner les cloches à tout moment. De hauts personnages qui habitent la rue de Tournon se proposent de prendre la poudre d’escampette pour se dérober au vacarme du bronze. M. de Brancas, pour ne parler que de lui, va demeurer boulevard Poissonnière. Ah ! Il y a encore une notule… La voix publique suppose au nouveau pasteur des vues d’intérêt personnel et il est hautement accusé d’avarice et de cupidité.
— Quelle famille ! s’exclama Nicolas. Mais qu’en est-il du curé ? Il tolère cela de son vicaire ?
— Il faut supposer qu’il a d’autres soucis en tête ! Pour finir je me dois, dit gravement Le Noir, de vous mettre en garde contre toute indiscrétion au sujet des matières délicates que vous traitez. Tenez vos gens. Silence sur l’opération de la cour du Dragon. Dieu, que les temps sont difficiles ! Nous y devons y prêter la main et environner tout cela de…
— Ténèbres, dit Nicolas.
— Certes, nous en rions ! Mais comprenez-moi. Il flotte des idées neuves qui peuvent se révéler dangereuses. Je lis les gazettes, on me rapporte les nouvelles à la main, la teneur et le contenu des chansons, libelles, pamphlets et même des placards des murs de la ville. Rien ne m’échappe de l’opinion, de l’esprit du public. Tout cet ensemble d’informations auxquelles s’ajoute…
Il baissa le ton de sa voix.
— … ce que nous recueillons par la lecture des lettres et par les rapports de nos innombrables mouches, c’est un état inquiétant de la société. Le royaume est malade. Si j’en juge par tout ce qui me parvient, et si l’on s’exerce à lire ce qui en ressort, je crains
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