Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
Vom Netzwerk:
doute effectivement en guerre sans merci contre l’Atlantique Sud, sinon que l’océan n’avait rien à y perdre, et eux tout. Il déroula la carte et empêcha le vélin récalcitrant de s’enrouler aussitôt, en immobilisant ses coins indociles par des petits parallélépipèdes de plomb emballés dans de la toile à voile, le stratagème universel des cartographes et des pilotes.

    Sans se perdre en compliments ni sur l’art du pilote ni sur le travail harassant des gabiers pour rétablir les manœuvres qui se rompaient sans cesse, le capitaine-major confirma sa stratégie.
    — La mâture et le gréement tiennent bon et nos voiles sont presque neuves. En larguant un ou deux ris, ce vent d’enfer peut nous faire parcourir mille lieues par jour vers le méridien du cap de Bonne Espérance. Maintenant que nous sommes recalés sur Tristan da Cunha, quel chemin reste-t-il à courir, pilote ?
    — Le méridien du cap des Aiguilles est à neuf mille lieues devant nous. Un chemin journalier de mille lieues est effectivement plausible. Je ne puis le garantir mais nous pouvonsraisonnablement espérer être dans huit à dix jours à l’ouvert du canal de Mozambique.
    — Vers le premier jour d’août ?
    — Oui. Ou le lendemain.
    — La traversée en droiture vers Goa est encore possible ?
    — Peut-être. Nous arriverons à la limite de la saison navigable. Tout dépendra de la décroissance de la grande mousson. Si elle reste active en nous attendant quelques jours, nous pouvons espérer parvenir à Goa avant qu’elle perde sa force.
    Dom Cristóvão s’esclaffa et plaqua sa main sur l’océan Indien.
    — D’autant plus que, comme je le répète, je n’ai pas l’intention de bouliner contre les vents parmi les récifs de la Juive au risque d’être obligé de relâcher dans le comptoir pourri de Mozambique. Non ! Après le franchissement des Aiguilles, nous continuerons à courir cinq à six jours sur le parallèle actuel et nous tirerons un bord libérateur vers les Mascareignes par le dehors de Sào Lourenço. Vas-tu encore dénicher une objection dans un de tes maudits grimoires, pilote ?
    — Absolument pas, dom Cristóvão. Il reste à espérer que les alizés du sud-est seront en place et vigoureux.
    — Ils le seront ! Ils nous pousseront en douceur dans des eaux à nouveau bleues. C’en sera fini de ce purgatoire et nous arriverons sans encombre à Goa. J’ai eu raison de persister. Notre recalage sur Tristan en est la preuve.
    Il balaya l’assemblée d’un regard conquérant.
    — Quelle voilure pouvons-nous porter maintenant que nous avons l’affaire à notre main ?
    Les maîtres restèrent silencieux, se consultant du regard. Bento Martinho, le contremaître, propriétaire des mâts de l’avant et donc le principal responsable de la voilure de fuite se prit le front dans la main comme s’il doutait lui-même de la pertinence de sa réponse.
    — Cela ne me concerne pas mais il serait déraisonnable de relâcher les ris du grand papefigue qui prend la principale force du vent. Je propose quant à moi de larguer deux bandes de ris à la misaine. Puisque nous allons courir vent arrière,elle sera partiellement masquée par la grand-voile et ne souffrira donc pas plus que maintenant. L’effet de la misaine sera d’autant plus utile que la civadière ne sert plus à grand-chose car elle est pratiquement masquée à cette allure. Il faudra la rentrer avant qu’elle soit emportée par la mer et le beaupré avec.
    — Je partage l’avis de Martinho. Il serait par ailleurs tout à fait déraisonnable de déferler l’artimon, commenta sobrement Bastiào Cordeiro, pressé de retourner surveiller sa grand-voile.
    Ils se turent, plongés chacun dans ses inquiétudes. Le capitaine-major balaya le portulan de la main et frappa la table de son poing.
    — Excellent. Largue deux ris dans ta misaine, Bento, sans te commander. Et toi, pilote, fais prendre le rhumb de l’est. À vous revoir peut-être.

    Il neigeait, quand ils ressortirent, sur un fond de ciel noir. L’île avait disparu comme un mirage. François alla ranger le portulan, descendit les échelles et traversa d’un pied prudent le tillac rendu encore plus glissant que d’habitude par une pellicule collante de neige à demi fondue. Il gravit péniblement les degrés conduisant aux deux étages du gaillard d’avant, alternativement écrasé sur les marches ou s’agrippant pour ne pas en décoller selon que le

Weitere Kostenlose Bücher