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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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ses laizes dont les coutures venaient de lâcher tout ensemble. Ses débris suspendus à la vergue comme une guirlande d’oriflammes battaient furieusement, prolongeantle vacarme par un fracas de claquements semblable au feu roulant d’une compagnie de mousquetaires.

    Les femmes serrées l’une contre l’autre comme un groupe de pleureuses antiques contemplaient alternativement la misère du grand-mât et la stupéfaction de l’état-major de la caraque, attendant quelque geste de sauvegarde à la hauteur de la catastrophe. Avant que le maître ait eu le temps de faire affaler la grand-vergue, la misaine brusquement démasquée s’effondra avec lenteur sous la gifle de la tempête, dans l’éclatement de ses haubans et le craquement insoutenable de son mât rompu net. Les voiles ayant disparu, l’océan révélé de tous côtés leur sembla immensément vide et désespéré. Vergues, espars, cordages et voile en lambeaux avaient recouvert le gaillard d’avant sous un chaos d’où s’échappaient des hurlements.

    Confiteor Deo omnipotenti, beatae Mariae semper Virgini. ..
    Le provincial entonna le Confiteor d’une voix ferme. Les notables autour de lui et au-dessous d’eux les passagers du tillac s’affaissèrent en pliant les genoux comme naguère la foule sur la plage du Restelo lors de la confession générale. Pétrifié, François était resté debout assistant en spectateur à cette scénographie dramatique.
    Il sentit brusquement une forme noire se coller à lui. Margarida lui tendit un visage blême aux lèvres violettes de froid, dont les yeux écarquillés cherchaient frénétiquement son regard. Elle était secouée de tremblements convulsifs dans sa cape collée au corps par la pluie battante.
    — Nous sommes perdus, n’est-ce pas ?
    Il le pensait à cet instant mais il prit le temps de réfléchir très vite. En fait, elle l’avait réveillé de sa léthargie. Il tremblait lui aussi, et il était encore incapable d’aligner assez de mots sensés pour faire une phrase, voire même de la prononcer. Il avait de toute façon besoin d’une réponse convenable à la question fondamentale qu’elle lui posait. En raison du gigantisme de leurs espars et de la lourdeur de leurs manœuvres, les énormes caraques étaient plus handicapées que les autresnavires par un démâtage. Un tel accident dans une mer énorme était d’une gravité extrême. D’un autre côté, les marins hauturiers étaient coutumiers de ces avaries spectaculaires. Tout dépendrait des réactions des maîtres et de l’équipage dans les minutes à venir. Et justement, Bento Martinho, le contremaître, venait de se dégager sain et sauf des ruines de son empire, gris de poussière, plus furieux que décontenancé. François aperçut Jean sur le tillac qui, courant vers les blessés, disait au passage quelques mots à Bento et lui donnait l’ abraço .
    Ces réactions viriles d’hommes de sang-froid le détendirent. Faisant abstraction de l’environnement catastrophique comme on tente d’échapper à un gros souci en pensant à autre chose, il analysa la pression et la chaleur du corps de la jeune femme contre le sien. Il l’enlaça dans un élan tendre et se souvint en un éclair de son même geste instinctif quand il s’était agrippé au cap de mouton de la misaine le jour où Sebastião, Pero et les vigies avaient été emportés par la mer. Quand cela s’était-il passé ? La veille ? Trois jours plus tôt ? Une semaine ? Un mois ?
    Dans une bouffée de hargne, il décida qu’elle et ses compagnes seraient sauvées. Que le prix à payer pour arriver en Inde ne pouvait être le sacrifice païen de leurs vies parmi des milliers d’autres. Qu’il n’était pas concevable qu’elles disparaissent elles aussi n’importe où et n’importe quand. Qu’elles périssent sans laisser de traces dans une horreur indicible quelque part hors du monde paisible qu’elles avaient laissé derrière elles en confiance. Il tenta d’occulter sa peur en riant de la sienne, espérant que sa voix ne serait pas trop blanche.
    — Dans quel état êtes-vous, Margarida ! Vous tremblez comme une feuille ! Perdus ? Allons donc ! C’est un accident. Pas un naufrage. Nous venons de démâter. L’avarie est spectaculaire et très grave, c’est évident, mais elle est courante et les marins y sont accoutumés. Notre caraque est solide. C’est l’une des plus puissantes nefs du monde et elle n’est nullement en

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