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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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de mission a-t-il voulu que l’empire des Indes continue à se mériter.
    Il fut malheureux de la médiocrité onctueuse de son sermon mais il fallait bien trouver des choses à lui dire vite et sans interruption, comme on frotte avec frénésie les membres des cholériques et des noyés pour tenter de leur redonner un peu de la chaleur qui les abandonne.
    — Nous sommes dans sa main. Il nous met à l’épreuve. Sans doute nous soumettra-t-il à la tentation dès que nous serons arrivés à bon port. Les mortels qui ont reçu l’absolution collective au départ de Lisbonne ne sont que des hommes. Ils font ce qu’ils peuvent.
    — Vous êtes tolérant, François. Et optimiste. Je suis si lasse. Vous qui savez la navigation. N’y a-t-il vraiment pas d’autres chemins ou d’autres saisons moins rudes pour parvenir aux Indes ?
    Il n’avait jamais réfléchi au problème. L’indignation qui submergeait la jeune femme lui avait rendu des joues et des lèvres un peu roses. Ce stimulus était salutaire en cet instant où mieux valait détourner son esprit de leur condition et lui donner des forces pour les jours à venir. En tout cas, elle lui avait retourné son prénom et cela donnait aussi des couleurs à cette journée noire. Elle lui sourit franchement et rejoignit les femmes. Rassurées prématurément quant à la capacité de tous ces hommes d’expérience de les sauver, elles descendirent se changer, oublier le vacarme du gréement en folie et rendre grâce à Notre Dame.

L’urgence était dans l’immédiat de tenir la caraque au vent sans tomber en travers de la houle pendant que l’on reconstruirait au plus vite une voilure de manœuvre. Dans l’ouragan qui ne faiblissait pas, la caraque conservait un peu d’erre bien qu’elle fût à sec de voiles. Elle avait déjà commencé à s’orienter naturellement en travers de la mer et le roulis recommença à ravager ses intérieurs, rendant impossible l’escalade des haubans du grand-mât. Très heureusement, les débris de mâture qui traînaient dans l’eau à l’étrave se comportèrent accidentellement comme une ancre flottante, cet assemblage de toile et de bois que l’on jette à la mer au bout d’un filin pour freiner la dérive d’un bateau désemparé dans la tempête et le maintenir face au vent. Monte do Carmo continua sa giration jusqu’à se retourner presque cap pour cap à une position d’équilibre moins inconfortable, dérivant lentement en recevant la mer de trois quarts de l’avant. Les gabiers purent alors grimper sur le marchepied de la grand-vergue pour la débarrasser de ses loques bruyantes en coupant au couteau les rabans d’envergure.

    La décision fut prise par les maîtres de descendre la grand-vergue à mi-mât et d’enverguer sur elle la rechange du petithunier. On commença à assurer provisoirement le beaupré par des grelins frappés sur le moignon du mât de misaine, en déblayant le gaillard d’avant et la poulaine pour rétablir la civadière. Tout cela fait, on pourrait dégager à la hache les débris traînant à la mer. Reprenant sa liberté, le bateau pivoterait alors sous l’effet de la civadière, du gouvernail et d’une ancre flottante mouillée sur l’arrière du château. On la confectionna sur le gaillard avec des espars en croix et des épaisseurs de toiles et de cordages lestées par des gueuses. Sitôt franchi le vent de travers, on établirait la voile de fortune pour faire route. C’est à ce moment qu’il faudrait prier pour le succès de la manœuvre. Il resterait à tenir bon quelques jours jusqu’au franchissement du cap des Aiguilles. On chercherait alors un abri le temps d’enverguer la rechange de la grand-voile et d’améliorer le gréement car l’opération lourde et dangereuse exigeait l’immobilité de la mâture. La journée perdue serait largement compensée par une vélocité quatre à cinq fois plus grande jusqu’à Mozambique où l’on construirait un nouveau mât de misaine pendant l’hivernage inéluctable.

    Dom Cristóvão, qui avait perdu sa superbe, se contenta d’approuver ces dispositions d’un signe de tête. Les prêtres installèrent partout des confessionnaux de fortune et se relayèrent tout l’après-midi pour encourager les passagers à s’en remettre à la volonté du Seigneur. Tous ceux qui possédaient des images pieuses voire des retables précieux dissimulés par précaution les sortirent de leurs bagages et les offrirent à la

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