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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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officiellement dans l’océan Indien. La réputation du cap de Bonne Espérance était en quelque sorte usurpée car c’était ce puissant promontoire qu’avait remarqué Dias. Le baptisant cap des Tempêtes, il avait honoré ses fureurs. Manuel I er avait fait sa gloire en lui donnant un nom plus optimiste.
    — Camões, le poète, était moins confiant. Sebastião m’avait répété vingt fois les menaces qu’il a mises dans labouche écumante du géant Adamastor, son gardien légendaire. Je les connais maintenant par cœur :
    « Je suis ce cap immense et mystérieux que vous nommez cap des Tempêtes. Sachez que des tourmentes démesurées rendront ces abords funestes à toutes les naus assez insensées pour tenter à nouveau ce voyage. J’infligerai à la première flotte qui franchira ces eaux indomptées un châtiment si soudain que ses terribles effets surviendront avant même qu’elle ait entrevu le danger. »
    — Cette prophétie était le point d’orgue des lectures édifiantes de Sebastião. Il avait l’intention de déclamer ces vers au moment où nous aurions tourné l’Afrique. Il m’avait confié qu’il préparait une surprise. Je crois qu’il avait imaginé l’apparition d’Adamastor dans la hune du grand-mât. L’Atlantique l’a pris avant son heure éblouissante. Dieu reconnaît-il vraiment les siens, Jean ?
    — Carvalho a été emporté par la mort en quelques secondes. C’est une chance inespérée pour lui qui avait côtoyé tant d’agonies. Il est sûrement au paradis des poètes homériques, en train de parler de conquêtes avec ses héros. Je suis même sûr qu’il en sait plus qu’eux sur l’histoire du Portugal.

    Ils étaient comme souvent à demi allongés sur leurs paillasses, méditant tous les deux le souvenir du philanthrope.
    — Jean ? La senhora da Fonseca Serrão ne comprend pas non plus pourquoi tant de misères sont nécessaires à l’accomplissement de ces traversées, ni pourquoi personne n’en parle jamais. Comme si le Portugal cachait la difficulté de la route, au lieu de la proclamer au contraire pour dissuader les autres nations de la suivre.
    — Tu sais bien la fameuse amnésie de la Carreira. Je me demande si cette perte de mémoire n’est pas une bonne maladie.
    — C’est à nous de constater et de rendre compte. Tu te devras, tu leur devras de faire une relation édifiante de notre voyage dès notre retour en France.
    — Si tant est que nous y ramenions nous-mêmes nos os. Et si possible dans leur emballage.

    Des débris de végétaux défilèrent à nouveau le long du bord le 8 août et les manches de velours vinrent tourner autour de la caraque, emplissant l’air de piaillements aigres. Maître Fernandes fit venir au rhumb est-nord-est le lendemain et au nord-est le surlendemain en faisant doubler les vigies. La longue houle antarctique se disloquait en une mer désordonnée qu’ils apprécièrent d’abord comme un soulagement jusqu’au moment où il fallut se rendre à l’évidence : les parages du cap étaient à la hauteur de leur réputation. Les vents d’ouest et de sud s’y heurtaient au courant débouchant du canal de Mozambique. Cet antagonisme soulevait, surtout pendant l’hiver, une mer énorme, hachée et creuse, destructrice, dans laquelle s’étaient affolées les caravelles de Bartolomeu Dias. C’est sur son conseil que Vasco de Gama avait renoncé à incorporer ces petits navires mythiques dans la flottille qui avait conduit l’assaut final vers Calicut. Les grandes caraques et les galions étaient seuls capables d’affronter ces parages qu’ils abordaient sous voilure de cape, leur tillac balayé par les paquets de mer, bourdonnants d’oraisons et de lamentations.
    Nossa Senhora do Monte do Carmo recommença à cogner dans cette mer furieuse en soulevant des gerbes d’embruns tourbillonnants. Sa voilure de fortune très mal équilibrée obligeait à un jeu subtil du geste et du sifflet entre le maître et le gardien pour soulager le gouvernail. Grumètes, matelots de pont et passagers requis d’office actionnaient sans relâche les treuils à brasser la vergue et les palans des amures de la pseudo grand-voile. Tant de pompes, de treuils et de palans maniés à tour de bras depuis un mois avaient épuisé les hommes souffrant de dénutrition. À peine relevée, la bordée de repos s’écroulait de fatigue sur place à même le pont. La mer qui allait et venait autour des corps prostrés comme

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