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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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de fer rougie au feu sur les deux talons des malades. On dit que les douleurs du mal cessent aussitôt.
    — Je veux bien croire qu’une barre chauffée au rouge appliquée sur la plante des pieds marginalise dans l’instant les maux de ventre, lança François. Dire que je tenais les hôpitaux pour des lieux d’ennui et les médecins pour des fâcheux !
    Déjà assez vieil Indien pour ne plus s’amuser d’anecdotes, Pyrard s’agaça de la désinvolture de François. Il le ramena un peu sévèrement à la réalité.
    — Rien n’est drôle ici. La région est infestée de mouches et de moustiques. Et puis les maladies nombreuses et souvent fatales ne sont pas seulement causées par la nature. Dans ce magnifique hôpital d’une netteté soigneuse, on soigne paradoxalement dans une propreté exemplaire les victimes de l’insalubrité d’une ville mal tenue.
    Un peu surpris de s’être fait rabrouer, François acquiesça.
    — C’est vrai que lorsque j’ai débarqué, j’ai senti deux odeurs très identifiables percer sous le parfum des épices. Les détritus de poisson comme à Dieppe, et la puanteur mélangée du bateau. Je n’y ai pas prêté attention en vérité. Ce sont des senteurs ordinaires.
    — Trop ordinaires justement.
    La rive Santa Catarina était la propylée de Goa quand arrivaient les flottes. Le reste du temps, elle servait au quotidien de latrines et de dépotoir qui attiraient les mouches, l’une des plaies de la ville avec les moustiques. Les architectes qui avaient érigé ces fameuses églises aussi belles qu’à Rome, une somptueuse résidence pour le vice-roi, des villas de rêve, cet hôpital aux allures de palais étaient de moins bons urbanistes. Les marchands qui collectaient à pleines cargaisons des pierreries, des porcelaines, des bois rares, des épices et de la soie toléraient que leurs trésors traînent parmi les immondices. Ils n’avaient rien fait ni les uns ni les autres pour balayer ni drainer Goa. Entre les églises dorées, ses rues étaient des bourbiers pendant la mousson, et l’on avait pensé il y avait à peine quatre ans à ordonner leur nettoyage car l’air était devenu irrespirable.

    Jean fit le tour du lit et saisit la cruche posée sur la table de chevet qui séparait les lits.
    — Les Romains savaient déjà construire des villes saines dans nos pays barbares mais nous l’avons oublié. Les rues de Paris sont aussi des cloaques.
    Il se porta la cruche sous le nez.
    — L’eau est très pure semble-t-il. C’est précieux dans un pays malsain.
    — Ça dépend. Les Portugais en consomment énormément. Ils ont appris des Indiens le souci d’une propreté corporelle maniaque et la pratique de bains répétés. L’eau domestique la plus pure arrive de Banguenim à dos d’hommes. On a jugé inutilement coûteux de construire un aqueduc puisque les esclaves sont là et que leurs maîtres en tirent profit. Les points d’eau citadins sont pollués. Goa est assainie en principe parquatre collecteurs qui perdent leurs eaux avant même d’atteindre la mer et contaminent au passage tous les puits de la ville.
    — Nos villes sont-elles plus propres ?
    — Non, Jean. Mais ici, la dysenterie fait des ravages et toutes les fièvres sont potentiellement létales. Ces ordures répandues à profusion sous le soleil doivent nourrir ces maladies. Non ? Toi qui es chirurgien ?
    — Disons apothicaire et naturaliste. Je partage ton sentiment sur le caractère fébrile des déchets et des eaux sales, sans que nous sachions pourquoi. Sinon qu’elles favorisent la prolifération des rats et d’insectes qui semblent jouer un rôle dans la transmission des maladies, mais encore une fois, la médecine ne peut se prononcer sur les raisons qui les déclenchent, ni pourquoi certaines dégénèrent en épidémies.
    — Et les odeurs ?
    — Les fumigations thérapeutiques sont une arme efficace. Les émanations odoriférantes favorisent les guérisons. Il est établi que les puanteurs sont porteuses de principes mortifères et que les vecteurs de contagion se nourrissent des miasmes. La nature protège les êtres vivants des toxicités et des dangers par de nombreux signaux d’alerte.
    — Si je te suis bien, l’odeur déplaisante s’interposant sur la rive Santa Catarina entre les arrivants et l’Inde mythique serait une mise en garde ? Un avertissement que Goa est insalubre sous son fard aguichant ? Que sous le masque des fragrances

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